David S. Ware / Cooper-Moore / William Parker / Muhammad Ali
Planetary Unknown
Aum Fidelity 2011
On attend forcément beaucoup d’un disque comme celui-ci. Parce que David S. Ware est un des grands saxophonistes ténor d’aujourd’hui qui sait ressusciter la magie des grands maîtres d’hier, et qu’entre ses mains le jazz est toujours cette musique qui sait raconter les mystères du monde et les luttes des hommes.
Alors, les premiers instants de nous avoir donné raison d’attendre : le titre qui ouvre ce disque, Passage Wudang, est une saisissante entrée en matière, une infinie chute dans le vide, un vertige musical. Aucune des 24 minutes de ce morceau augural n’est inutile. Chacune de ses étapes reflète les classiques de l’expérience humaine : l’espoir, la déception, l’effort, la tendresse, l’inquiétude, la quête, la colère et l’amour, la paix trouvée…
Ce morceau, à l’aune de ceux qui suivront, est aussi l’incarnation du grand écart opéré par Ware entre les grandes figures (on pense beaucoup à John Coltrane et Booker Ervin pour l’évidence de la formule en quartet et la sonorité énorme en même temps que fébrile du saxophone ténor) et la déconstruction perpétuellement à l’œuvre.
Pour ce Planetary Unknown, David S. Ware s’entoure de trois autres grandes figures de la Great black music pour offrir à l’auditeur un quartet inédit, quoique témoin de nombreux fragments d’histoires communes.
Le pianiste Cooper-Moore, avec qui Ware avait collaboré dès le début des années 70, offre un jeu plus charnel, moins abstrait que Matthew Shipp que l’on a l’habitude de trouver aux côtés du saxophoniste depuis de nombreuses années. Gorgé d’histoire, le piano de Cooper-Moore semble ramener sans cesse Ware à cette question : « Comment faire plier les racines sans les briser ? »
Puis, évoquer William Parker, le compagnon de toujours, si régulièrement excellent qu’on en oublierait presque de le souligner, pertinent, surprenant, jamais là où on l’attend, aussi à l’aise dans la teneur du rythme que dans les contrepoints mélodiques ou encore les encouragements aux échappées belles.
Enfin, Muhammad Ali, qui joua avec Albert Ayler et dont le frère Rashied joua avec Coltrane (l’esprit de leur disque en duo, Instellar Space, souffle sur le duo saxophone / batterie Duality is One qui en serait la réminiscence). Sur toute la longueur du disque, Ali impressionne par son inventivité continuelle, sa capacité à traduire les moindres respirations et bruissements du monde. Comme s’il s’était trop longtemps tu, Muhammad semble tout dire en ce disque sans jamais trop en faire (Divination Unfathomable). En un liminaire coup porté sur la gosse caisse et une cymbale ultimement percutée, Muhammad Ali embrasse les 7 titres qui composent ce disque d’importance, traversé par le courant torrentueux, chantant et changeant de David S.Ware.
Au saxophone ténor (sur les 3 premiers titres), au saxophone sopranino (sur les 3 suivants) et finalement au stritch, Ware semble au fur et à mesure que son instrumentarium gagne en incongruité atteindre l’évidence de son discours singulier.