Barre Phillips, le pionnier

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Vendredi 26 novembre 2010:

FOCUS SUR LE CONTREBASSISTE BARRE PHILLIPS

Barre Phillips est, pour les amateurs de musique improvisée aujourd’hui, un grand nom. S’il apprit d’abord la contrebasse classique, c’est, dans les années 60, auprès d’Archie Shepp, Jimmy Giuffre, Lee Konitz ou encore Marion Brown qu’il se fit connaître. Pionnier, Barre le fut toujours et fut ainsi le signataire du premier disque en contrebasse solo dans la sphère des musiques improvisées en 1971. Il reviendra, tout au long de sa carrière, souvent à cet expérience de la solitude, comme il provoquera de nombreuses collaborations avec des figures fortes du jazz et des musiques improvisées (Joëlle Léandre, Evan Parker, Paul Bley, Derek Bailey, etc.)

Lors de cette émission sera programmée la chronique de Cécile Even « Les Instantanés » consacrée à la guitariste Mary Halvorson.

Stephan Oliva – Lives of Bernard Herrmann

d_Bernard-HerrmannStephan Oliva
Lives of Bernard Herrmann
Sans Bruit 2010

Après « Ghosts of Bernard Herrmann » paru en 2007 sur le label Illusions, voici la suite de l’exploration en solitaire par le pianiste Stéphan Oliva, mais cette fois ci en public, de l’œuvre du compositeur de musiques de films Bernard Herrmann.

Fidèle à celui-ci, Oliva développe un discours qui emprunte tant à la tradition romantique de Liszt et Debussy pour les climats recueillis (« Citizen Kane ») qu’aux explorations de la musique sérielle pour les mélodies comme esquissées et dévoilées par petites touches successives (« Sisters »). Aussi, Oliva use des ostinatos, des fulgurances dissonantes et du minimalisme qui faisaient la marque du maître.

Orson Welles, Henry Hathaway, Alfred Hitchcock comme plus tard François Truffaut, Brian De Palma ou encore Martin Scorsese se sont tous, occasionnellement ou régulièrement, appuyés sur la musique composée par Bernard Herrmann pour mettre en scène leur vision hantée et angoissée du monde. Ici, le silence est nuit, les notes solitudes et les mains du pianiste semblent dialoguer comme se répondent au cinéma champ et hors champ : de la présence menaçante de ce dernier naîtra le suspense.

La solitude d’Oliva incarne en un geste contemporain la solitude des deux personnages hitchcockiens (Scottie et Norman Bates) que font inévitablement renaître les deux pièces centrales du disque que sont Vertigo et Psycho, deux films malades qui déclinent la figure de la spirale (le chignon de Madeleine dans Vertigo, la bonde de la douche dans Psycho). La spirale, leitmotiv cinématographique devient ici source d’inspiration musicale : Oliva tourne autour de la mélodie, s’en approche pour ensuite prendre ses distances. La musique est comme aspirée, siphonnée ; elle se vide pour ne laisser apparaître que les os. Les improvisations du pianiste resserrent plutôt qu’elles n’élargissent le spectre. Nous est alors proposé ici un art de l’économie, de la nudité, du dépouillement, qui fait naître le mystère et le malaise, comme le crépuscule, en chassant petit à petit le jour, installe la nuit.

A l’instar de l’incapacité de Scottie et Norman à vivre dans un présent qui se serait affranchi du passé (en l’occurrence des figures féminines de l’Amante et de la Mère), la musique d’Oliva ne peut s’épanouir que dans les réminiscences à la fois de la musique d’Herrmann et des images suscitées par elle. Du compositeur américain, l’œuvre et son esprit (ses fantômes ?) sont ici justement, intimement revisités, de sa première musique de film (Citizen Kane) à sa toute dernière, achevée la veille de sa mort (Taxi Driver), pour laquelle Bernard Herrmann utilisait pour la première fois le matériau du jazz. Alors, Oliva de reprendre les choses là où le maître les avait laissées.

Stéphan Oliva : Lives of Bernard Herrmann (Sans Bruit)
Enregistrement : 2009. Edition : 2010.
CD : 01/ Ouverture / Xanadu 02/ La Chiesa San Miniato Al Monte 03/ Prelude 04/ Vertigo Suite 05/ Sister’s Nightmare 06/ The Birthday 07/ Radar / Space Control 08/ Prelude / The Road / The Bedroom 09/ Spies of Fear 10/ Prelude

Le jazz selon Yolk

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Vendredi 19 novembre 2010:

FOCUS SUR LE LABEL YOLK RECORDS

En 1991, à Nantes, se créait un collectif de musiciens sous le nom de Yolk. Bien vite, un label vit le jour pour mieux promouvoir encore les musiques jouées par Alban Darche, Sébastien Boisseau, Matthieu Donarier…  De jazz il est question, bien sûr, mais alors d’un jazz qui se confronterait systématiquement aux autres musiques (traditionnelles, classiques, rock…).

« Yolk tente à sa manière de combattre la propagation de la culture de masse, conscients que la culture reste un enjeu majeur dans la construction de l’être. »

Lors de cette émission sera programmée la chronique de Raphaëlle Tchamitchian « Soliloque » consacrée au disque « Préhistoire(s) » du batteur Edward Perraud.

Hommage (recueilli) à Lacy

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Vendredi 12 novembre 2010:

GRAND ANGLE SUR LE SAXOPHONISTE SOPRANO STEVE LACY

Le regretté Steve Lacy est à plusieurs titres une figure exceptionnelle. Il fut l’un des rares (avec Sidney Bechet avant lui) à se consacrer exclusivement au saxophone soprano. S’il fit ses premières armes dans la musique de tradition dixieland, il passa vite et directement au free jazz, sans jamais oublier la passion sans borne qu’il voua à la musique de Thelonious Monk, autre original inclassable.

« Steve Lacy faisait partie de cette génération pour qui la rupture entre jazz traditionnel et jazz d’avant-garde n’a jamais réellement existé : pour eux, le premier ne représentait pas l’histoire mais leur jeunesse, et le second n’était ni un choix de départ, ni une répudiation, mais une évolution naturelle. Steve Lacy, c’était la solution de continuité entre le New Orleans et Monk – un bopper qui jouait du free, un avant-gardiste dont le jeu de soprano renvoyait directement au blues par son phrasé empreint de swing, son timbre riche et varié, son ironie et son lyrisme sardonique. » Tom Storer

Gaël Mevel Quintet – Images et personnages

d_gael-mevelGaël Mevel Quintet
Images et personnages
Leo Records, 2010

Le dernier album du pianiste Gaël Mevel, en quintet et pour le label Leo Records, se compose de deux longues suites d’une vingtaine de minutes chacune. Jamais, la musique jouée par Mevel et ses compagnons (Jean-Jacques Avenel à la contrebasse, Didier Petit au violoncelle, Jacques Di Donato à la clarinette et Thierry Waziniak aux percussions) ne se départira des climats sereins, méditatifs et concentrés développés dès les premières minutes.

D’abord, c’est au bandonéon que Gaël Mevel dépose délicatement un lambeau de mélodie, quelques notés tirées d’un ailleurs imaginé, entre la comptine enfantine et une rengaine folklorique sans âge. Alors, les instruments, chacun à leur rythme (cette musique est la conjonction de respirations qui se cherchent et se rejoignent !), apprivoiseront ce bout de mélodie, le feront leur en lui dessinant de nouveaux contours qui s’entrelaceront tout au long de la première plage. Ce motif mélodique sera réintroduit dans la discussion régulièrement, tel un témoin de ce passage de relais musical, par Gaël Mevel, discret chef d’orchestre qui propose et recentre les débats plutôt qu’il ne les dirige. Il semble sans cesse rappeler ses compagnons à lui pour mieux leur souffler de s’enfuir à nouveau.

Sur ce disque, la musique est faite de flux et reflux, d’échappées belles et de retours en terra cognita, de boucles et de courbes. Les notes distillées avec économie, la riche interaction entre les timbres et les instruments, lui confèrent chaleur et étrangeté. Les musiciens, tous complices de longue date de Gaël Mevel, balaient de la main toute virtuosité et tout bavardage inutiles. Leur démarche pourrait être celle de la « route ouverte » décrite par D.H. Lawrence lorsqu’il décrivait la poésie de Walt Whitman : « La grande maison de l’âme est la route ouverte. (…) Pas par la méditation. Pas par le jeûne. Pas en explorant paradis après paradis, intérieurement, comme les grands mystiques. Pas par l’exaltation. Pas par l’extase. Par aucun de ces moyens l’âme ne se réalise. Seulement en prenant la route ouverte. »

Le langage commun, l’esperanto du quintet, c’est le silence. Gaël Mevel nous le confirme dans les notes de pochette : « Je remercie ces musiciens d’exception, inventifs et généreux qui partagent avec moi cet espace d’écoute si particulière où, en silence, tout est possible. » A notre tour de les remercier.