Niklas Barnö / Joel Grip / Didier Lasserre – Snus

d_snusNiklas Barnö / Joel Grip / Didier Lasserre
Snus
Ayler Records, 2009

Snus est le nom dont se sont dotés les trois hommes qui jouèrent en première partie du trio d’Alan Silva et à l’occasion du 70ème anniversaire de ce dernier (fêté à l’Atelier Tampon Ramier sur l’initiative du maître des lieux Marc Fèvre). Le trio convié est alors constitué de deux activistes de la scène des musiques improvisées suédoises, et complices de longue date, et d’un percussionniste français parmi les plus passionnants de 21ème siècle naissant: Joel Grip y joue de la contrebasse, Niklas Barnö de la trompette et Didier Lasserre de la batterie.

Après une première minute tissée par les fils de Grip et Lasserre éclate le son brillant du cuivre de Barnö. Il y avait longtemps que l’on avait entendu un tel son de trompette : brut, sans artifice, sans retenue, puisant dans les racines mêmes de l’instrument (les assauts des fanfares militaires) et dans ses débuts en terre jazz (la ferveur nouvelle orléanaise). Le jeu de Barnö (joyeux, belliqueux) et plus généralement le son dégagé par ce trio d’une complicité hors du commun évoquent aussi le punk rock ; ce serait alors celui du Clash de la période Sandinista, ouvert aux quatre vents de l’improvisation et des métissages rythmiques. Car, vite, les tempi déployés par le trio s’apaiseront, pour dégager de nouveaux espaces à investir.

Exemplaire de ce disque est le titre Smoking Flavour, qui semble promener en sa première moitié le squelette d’un vieux cool jazz, sur le point de trébucher et se désarticuler, mais ranimé ensuite car comme réveillé par la coïncidence d’une corde grattée plus fort, d’un fût percuté plus vif. Alors, contrebasse et batterie à force de tituber ensemble régleront l’une sur l’autre leur pas, bientôt emboîté par ceux de la trompette de Barnö. Ce titre témoigne du miracle que peut être parfois la musique improvisée, quand elle est à ce point jouée par des musiciens dont la virtuosité n’a d’égal que le souci du collectif et de l’écoute. Quand elle est défendue par des musiciens affranchis, libres.

Ceux-ci sont tous remarquables, mais peut-être pouvons-nous nous attarder sur le percussionniste de cette session. Didier Lasserre y est à l’aise (c’est-à-dire d’une sincérité et d’une inventivité totales) tant quand il s’agit d’aller tambour battant (le véloce Tobacco et son rythme effréné) que dans les ponctuations, les soupirs, les effleurements (Water, et ses miroitements). Avec lui, la musique est surprise, toujours. Tout comme les disques de l’Unfold trio ou de Nuts (également signés sur Ayler Records), ce disque nous le confirme d’indéniable et implacable manière.

Spirituals, folk songs et Satie…

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Vendredi 10 décembre 2010:

FOCUS SUR QUELQUES REPRISES D’ERIK SATIE

Histoires et actualité du jazz… Comme souvent, ce début d’émission donnera à entendre de bons souvenirs comme de récents chocs musicaux. Puis l’univers d’Erik Satie s’invitera dans le studio, à l’occasion de la réédition du disque sorti en 1989 du Vienna Art Orchestra « The Minimalism of Erik Satie ». Seront évoquées également les explorations de l’œuvre du compositeur français qu’en firent Yusef Lateef, Richard Galliano ou encore Maki Nakano…

Nicole Mitchell’s Sonic Projections – Emerald Hills

d_emerald-hillsNicole Mitchell’s Sonic Projections
Emerald Hills
Rogue Art, 2010

« Mon projet, en un sens, est de me rebeller contre mon propre confort musical et d’explorer ce qui va contre lui » livre Nicole Mitchell à Alexandre Pierrepont, qui signe les notes de pochette de ce nouvel opus de la flûtiste chicagoane. Pour ce faire, Nicole Mitchell invente une nouvelle formation (« Sonic Projections ») et y convoque trois musiciens aventureux et très actifs de l’actuelle scène américaine : le pianiste Craig Taborn, le saxophoniste David Boykin et le batteur Chad Taylor. La musique alors jouée et enregistrée lors de deux journées de mai 2009 est aujourd’hui éditée par le label Rogue Art, qui pourrait reprendre à son compte pour toutes ses parutions ces mots de Nicole Mitchell rappelés premièrement.

Rarement Nicole Mitchell n’avait autant poussé sa musique dans ses retranchements et confronté le doux souffle de sa flûte au tumulte de la matière en mouvement. La musique se fait souvent haletante, trébuchante, maladroite pour sembler trouver un rythme de croisière bientôt à nouveau sapé de l’intérieur par des tempi se déstructurant, des timbres s’exaspérant, des instruments s’emballant. Ce jeu sur les dynamiques, et cette alternance d’acmés et calmes retrouvés, traverse tout le disque.

Comme toujours, la flûtiste utilise pour ses expériences soniques le matériau protéiforme et historique de la Great Black Music : le gospel, le spoken-word, le be-bop, le free jazz, le funk et la musique cosmique de Sun Ra (la liste, même si déjà longue, est loin d’être exhaustive) se retrouvent à bouillir dans le grand chaudron de l’alchimiste Mitchell.

Dans la poursuite de cette quête (la recherche dans l’inconfort d’une nouvelle voix personnelle avec pour garde fou la grande tradition musique africaine américaine), Nicole Mitchell est merveilleusement épaulée par ses trois camarades. Une mention spéciale pourrait être donnée au saxophoniste David Boykin qui, ici plus que jamais, développe un discours d’une singularité saisissante et concoure à donner à la musique de l’ensemble une fascinante étrangeté.

Finalement, l’exploration de ces collines d’émeraude (très escarpées au début du disque, puis aux reliefs s’adoucissant, mais aux reflets sans cesse changeant) se terminera par une nouvelle proposition musicale qui troue le silence, « Peace », sérénité trouvée grâce aux incertitudes auparavant traversées et après bien des passages escarpés, superbe morceau en apesanteur, et belle conclusion d’un des disques les plus réussis de la musicienne.

Nicole Mitchell’s Sonic Projections : Emerald Hills (Rogue Art)
Enregistrement : 2009. Edition : 2010.
CD : 01/ Visitations 02/ Ritual and Rebellion 03/ Chocolate Chips 04/ Wild Life 05/ Wishes 06/ Emerald Hills 07/ Surface of Syrius 08/ Affirmations 09/ Peace

Craig Taborn ou l’art de l’imprécision

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Vendredi 3 décembre 2010:

FOCUS SUR LE PIANISTE CRAIG TABORN

Craig Taborn fait partie de ces musiciens qui aujourd’hui poussent incessamment le jazz dans ses retranchements. « Selon moi, toute la musique est une recherche de ce qui est possible avec le son dans le moment présent et consiste à explorer les champs de la créativité. Partant de là, l’objectif d’obtenir quelque chose de « précis », dans le sens de vouloir réaliser un objet préconçu, ne fait pas partie de ma méthode de travail, qui repose en grande partie sur l’improvisation. L’un des aspects de l’improvisation est, par définition, que tout est conditionnel. »

Avant cela, et en sa première partie, l’émission se penchera sur quelques disques très récemment sortis.