Jason Robinson & Anthony Davis – Cerulean Landscape

d_ceruleanJason Robinson & Anthony Davis
Cerulean Landscape
Clean Feed, 2010

Tels John Coltrane (Blue Train, Coltrane plays the Blues), Booker Ervin (Blues Book), Thelonious Monk (Blue Monk) ou encore bien-sûr Miles Davis (Kind of Blue), nombreux furent ceux qui replongèrent le jazz dans sa teinture originelle: le blues. Et c’est Duke Ellington qui inspire à Jason Robinson et Anthony Davis la musique jouée ici. Le fameux pianiste avait en son temps exploré les nombreuses nuances de la couleur bleue (Mood Indigo, Azure, Transbluesency…). Avec Cerulean Landscape (« paysage céruléen »), les deux hommes de poursuivre la démarche de leur aîné et de plonger à leur tour leurs mains dans le profond courant bleu.

Le saxophoniste et flûtiste Jason Robinson et le pianiste Anthony Davis commencèrent de jouer ensemble en 1998, à l’occasion d’un hommage rendu à Cecil Taylor. C’est dire si les deux extrêmes de ce spectre (Cecil Taylor alors ; Duke Ellington aujourd’hui) suggèrent un attachement à la tradition nuancé d’une poursuite opiniâtre de la liberté.

Le disque s’ouvre avec une composition de Davis, Shimmer, lent envol vers de vibrantes altitudes. Les battements d’ailes du piano puis les circonvolutions du saxophone posent le décor de Cerulean Lansdcape : la musique alternera longues pauses planantes et virages épris d’accélérations et changements de rythmes. On pense dans ce premier morceau à Steve Lacy, tant le saxophone soprano ici mêle en un même flux tendresse et abstraction, chair et esprit.

Sur le titre suivant, Someday I’ll Know, le saxophone ténor prend le relai. C’en est fait de la légèreté, le propos s’aggrave, s’approfondit, et à mesure que la musique progresse l’on semble se rapprocher du sol pour enfin se poser à mi temps du morceau, un court instant. Puis, sous l’impulsion de Davis, en un solo stupéfiant, redécoller et jouer malicieusement avec le vent.

Le disque s’écoutera alors à l’aune de ces débuts : aux grands espaces succéderont d’accidentés terrains, où les notes se fraieront un passage avec agilité et inquiétude. Quitter les hauteurs ne se fait parfois pas sans risques et Vicissitudes, seul véritable bémol du disque, ne fait qu’accroître notre impatience de voir les musiciens reprendre calme et hauteur. C’est chose faite dès le quatrième (et plus beau ?) morceau, Of Blues and Dreams. La paix retrouvée se teinte cependant de ces notes bleues qui interdisent tout abandon, qui rappellent l’imminence possible de la chute. Alors, l’art du suspense de Davis et Robinson achèvera de convaincre.

Cet autre sommet du disque qu’est Andrew (septième et pénultième morceau), au piano tout en brisures mais ne se départissant jamais d’un implacable rythme, nous offrira une proposition singulière de ce qui faisait battre le cœur de la musique de Duke : le swing.

L’aventureux Andrew Cyrille

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Vendredi 11 mars 2011:

GRAND ANGLE SUR LE BATTEUR ANDREW CYRILLE

Andrew Cyrille, pendant près d’une dizaine d’années, fut le batteur des formations menées dans les années 60 et 70 par le pianiste Cecil Taylor. Une telle collaboration laisse présager d’un tempérament aventureux et d’une insatiable curiosité. On a peu rencontré Cyrille en leader mais souvent dans de fameux équipages, tels ceux emmenés par Walt Dickerson, David Murray, Mal Waldron, Horace Tapscott, Billy Bang, ou encore Oliver Lake… « Cyrille a inventé, prolongeant les architectures de la batterie bop, une pulsation où l’urgence, les emballements sont tramés d’une sophistication que l’on entend d’abord dans le rôle prédominant accordé à la grande cymbale. » (Christian Tarting, Dictionnaire du jazz)

L’étrange jazz de chambre de Daniel Levin

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Vendredi 4 mars 2011:

GRAND ANGLE SUR LE VIOLONCELLISTE DANIEL LEVIN

Ancien compagnon de route de Anthony Braxton, Joe Morris, Billy Bang, Tim Berne, Tony Malaby ou encore Ken Vandermark, Daniel Levin est, depuis quelques années, à la tête d’un quartet à l’instrumentation atypique : trompette / vibraphone / contrebasse / violoncelle. Cet étrange jazz de chambre est à l’image de ce violoncelliste américain : inclassable, surprenant. Daniel Levin se fait aussi entendre en trio ou en duo (avec le saxophoniste Rob Brown), arpentant alors des terres plus exposées aux perturbations, demeurant un des musiciens les plus attachants de la scène jazz  contemporaine.

Didier Lasserre – Sur quelques surfaces vacantes

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Sur quelques surfaces vacantes
Entre deux points, 2010

La musique de Didier Lasserre est une main ouverte, paume tournée vers le ciel, prête à accueillir les fragments du monde qui s’y réfugieraient. Elle est l’inattendu et la révélation, elle est fille de l’instant et de l’éternité. Elle est poésie, donc.

Il faut prendre rendez vous avec elle, la laisser venir à nous une fois les conditions d’une intimité possible créée. Ici, Sur quelques surfaces vacantes, enregistré le 12 avril 2010 au Théâtre Molière de Bordeaux, présente le percussionniste seul avec une cymbale et un tambour. La musique alors surgie est rare et fragile, à l’image de ce disque qui l’incarne : tiré à 80 exemplaires numérotés et à la pochette dessinée à la main.

Les deux instruments ne sont pas au service de la mélodie mais en seraient plutôt la source même, l’origine. De leur exploration jaillit une sorte de chant naturel, en même temps qu’une parole bien humaine, car singulière. Et si l’on entend le souffle du vent, le crépitement du feu, le sol martelé et la vie immergée, la musique ici ne s’affranchit jamais de son humanité : chaque note nous ramène à l’homme qui la joue.

Un tambour, une cymbale : le bois et la peau, puis le fer, tels un raccourci de la destinée humaine en même temps qu’un condensé de l’univers de Didier Lasserre, musicien indispensable dès lors qu’on aura croisé sa route et laissé sa musique venir à nous. Il faut vite écouter ce chant du monde, son doux murmure, ce qu’il nous dit sans cesse mais que nous n’entendions plus.