Nicole Mitchell’s Black Earth Strings – Renegades

d_renegNicole Mitchell’s Black Earth Strings
Renegades
Delmark, 2009.
Par Pierre Lemarchand

Le Black Earth Strings est une émanation du Black Earth Ensemble, emmenés par la flûtiste Nicole Mitchell. On y retrouve le contrebassiste Josh Abrams et la violoncelliste Tomeka Reid et y sont accueillis la violoniste Renee Baker et la percussionniste Shirazette Tinnin. Il plane sur cette session le même esprit que dans l’Ensemble : celui de la Great Black Music.

Rappelons que Nicole Mitchell est vice présidente de l’AACM, cette association chicagoane qui rassemble des musiciens et dont Lester Bowie, membre fondateur, définissait ainsi le propos : « contribuer à développer la personnalité des jeunes musiciens afin de créer une musique d’un haut niveau artistique à l’attention du grand public ». Soulignons aussi que c’est sur Delmark, historique label indépendant, que sort ce disque.

L’instrumentation évoque tantôt la musique de chambre européenne (le violon, le violoncelle, l’alto et la contrebasse… en témoigne Symbology # 1), le jazz (la pulsation de la contrebasse et de la batterie sur Mama found out) ou l’Afrique (quand Abrams s’emparant du gnawa « guembri » accompagne les percussions de Shirazette Tinnin sur Windance).

Et c’est la flûte, un des plus anciens instruments du monde, qui fait le lien. Nicole Mitchell est ici au sommet de son art : insaisissable, toujours surprenante et changeante. Elle est à la tête d’un quintet qui, si c’est ici son premier disque, a commencé de jouer il y a bientôt dix ans. D’où le sentiment de fraîcheur et de complicité mêlées.

« J’ai appris que, quand on est femme et noire et que l’on veut faire de la musique, il faut être agressive » nous dit Nicole Mitchell. Son groupe, à forte empreinte féminine (quatre femmes et un homme, tout de même !), parle de liberté et de rupture avec la société machiste (Waris Dirie, en hommage à l’artiste somalienne qui lutte contre les mutilations sexuelles ou encore By my own grace, hymne féministe), écho d’un monde impérialiste et esclavagiste (Wade, inspiré par le gospel Wade in the Water) balayés d’un revers de main par ce grand disque.

Nicole Mitchell’s Black Earth Strings : Renegades (Delmark / distribution Socadisc )

Enregistrement : 2008. Edition : 2009.

CD : 1/ Crossroads 2/ No matter what 3/ Ice 4/ Windance 5/ Renegades 6/ By my own grace 7/ What if 8/ Symbology #2A 9/ Wade 10/ Waterdance 11/ Symbology #1 12/ Mama found out 13/ If I could have you the way I want you 14/ Symbology #2 15/ Waris Dirie 16/ Aaya’s rainbow

Raphaël Imbert – N_Y Project

d_NYProjectRaphaël Imbert
N_Y Project
Zig Zag Territoires, 2009
Par Pierre Lemarchand

Depuis 2003, Raphaël Imbert a beaucoup séjourné à New York pour mener à bien ses recherches sur le rapport des jazzmen au sacré. Aujourd’hui, ce disque pourrait être le pendant sonore des écrits du saxophoniste sur la dimension spirituelle du jazz.

Le morceau qui ouvre ce disque est une reprise de Duke Ellington « Echoes of Harlem ». Gerald Cleaver (batterie) et Joe Martin (contrebasse) reconstituent la jungle ellingtonienne tandis qu’avec le saxophone de Raphaël Imbert surgit la contemporanéité de l’asphalte new yorkais. Le décor est planté : nous sommes là au point de confluence de deux mondes, et ce point de choc s’appelle jazz. L’on sait aussi, alors, que le propos ne sera pas d’adopter une posture nostalgique mais plutôt de questionner l’avenir du jazz à l’aune de son histoire, à l’image de la superbe photo de couverture de Franck Jaffrès qui laisse entrevoir un New York entre chien et loup.

Ce sera le thème « Central Park West », emprunté à John Coltrane, qui clora l’album, et ainsi refermera sa boucle géographique et esthétique. A l’intérieur : onze compositions de Raphaël Imbert. Trois autres silhouettes de jazzmen mystiques se dessinent : Albert Ayler (dont le sax ténor de Imbert emprunte le vibrato exacerbé sur « Albert everywhere », peut être le plus beau morceau ici), John Zorn (un « My Klezmer Dream » tout en angles et changements de rythme) et Rahsaan Roland Kirk (« NYC breakdowncalling » ou l’art de souffler dans plusieurs sax simultanément !).

Ailleurs, Imbert convoque l’esprit des Cloîtres (« Cloisters Sanctuary ») et des Temples (la très belle suite «The Zen bowman » dédiée au philosophe allemand et adepte du zen Eugen Herrigel). On le comprend vite, « NY Project » est une œuvre, en ceci que la forme (la musique de jazz) et le fond (la dimension historique et spirituelle de celle-ci) sont en résonance et cohérence.

Il n’est donc pas de hasard, et c’est naturellement que dans le livret est évoqué l’ouvrage de Philippe Carles et Jean-Louis Comolli « Free Jazz Black Power », (re)lecture politique de la musique africaine-américaine et chant d’amour à sa modernité : « Qu’ y a-t-il dans l’amour du jazz ? La beauté, l’émotion, la nostalgie, l’excitation, la jeunesse, la révolte, tout cela sans doute. Mais d’abord le goût des chemins nouveaux, le vif désir de l’inouï. »

Que nous retrouvons ici.

Raphaël Imbert : N_Y Project (Zig Zag Territoires / Harmonia Mundi)

Enregistrement : 2009. Edition : 2009.

CD : 1/ Echoes of Harlem 2/ Lullaby from the beginning 3/ Cloisters sanctuary introduction 4/ Cloisters sanctuary 5/ Albert everywhere 6/ My Klezmer Dream 7/ Struggle for Manhattan’s life 8/ NYC breakdowncalling 9/ The Zen bowman : Prayer 10/ The Zen bowman : Surrender 11/ The Zen bowman : Target 12/ The Zen bowman : Arrow 13/ Central Park West

Abdelhaï Bennani / Benjamin Duboc / Didier Lasserre – In Side

d_inSideAbdelhaï Bennani / Benjamin Duboc / Didier Lasserre
In Side
Ayler Records, 2009
Par Pierre Lemarchand

Il ne faut pas nous laisser effrayer par cette musique car elle est la vie même, qui s’invente à chaque nouveau souffle, à chaque nouveau pas, à chaque battement de cœur.

Ce disque est le témoignage d’un concert que trois hommes donnèrent aux 7 Lézards à Paris le 8 février 2007, et les cinq morceaux consignés ici sont autant d’improvisations collectives. Car c’est en live que l’art de Abdelhaï Bennani paraît le mieux s’épanouir. Au contact de l’autre (musiciens ou public) les compositions surgissent, s’altèrent et cheminent, ambassadrices de cet amour de l’improvisation et de la culture de l’oralité dont se réclame le saxophoniste marocain .

La musique que nous offre Abdelhaï Bennani depuis tant d’années est une musique en marche, en mouvement. En témoignent les titres « Take the train » et « Ballad on Mars »… Une musique insaisissable aussi, car aqueuse, toute de sinuosités et d’écoulements («A la dérive », « Sous l’eau, la vie d’autrefois ») : la contrebasse de Benjamin Duboc est le ressac, la batterie de Didier Lasserre le clapotis sur les rochers, le saxophone de Abdelhaï Bennani toute la vie immergée.

La liberté et la douceur, toutes de précaution et d’attention mutuelle mêlées, sont ici maîtresses. Eclate la singularité du son de Abdelhaï Bennani, ce « ruissellement quasi mutique du saxophone », tel que le caractérise Cécile Even, dans les poétiques notes de pochette qu’elle signe, important pendant textuel à cette méditation sonore.
Abdelhaï Bennani / Benjamin Duboc / Didier Lasserre: In Side (Ayler Records /Orkhestra)

Enregistrement : 2007. Edition : 2009.

CD : 01/ A la dérive 02/ Take the train 03/ Ballad on Mars (La déclaration d’amour) 04/ Sous l’eau, la vie d’autrefois 05/ Prayer One