Les trajectoires de Don Cherry

DonCherry

Si la trajectoire de Don Cherry devait être, en son entame, rectiligne, égrenant les attendus repères chrono-biographiques, elle adoptera vite la courbe comme motif, l’arrondi du point d’interrogation, la sinuosité des vents et courants, la circularité à l’instar de la planète qu’il n’aura de cesse d’arpenter curieusement.

De la ligne droite liminaire, rappeler donc quelques marqueurs…

1936 : naissance métissée de Donald Cherry en Oklahoma d’un père noir américain et d’une mère indienne chocktaw.

1940 : installation de sa famille à Los Angeles, où le jeune Donald apprendra le piano et la danse.

1948 : apprentissage de la trompette.

1951 : participation aux formations de Red Mitchell, Wardell Gray et Dexter Gordon

1957 : rencontre déterminante avec Ornette Coleman.

On connaît la suite. Les mélodies étranges, gaies et tristes à la fois du saxophoniste alto se pareront toujours du son acide de la trompette de Don Cherry. Du moins jusqu’en 1962, date à laquelle Cherry, fort de quelques incartades avec Coltrane et Lacy, quittera Coleman et s’associera à Sonny Rollins. En 1964, Don Cherry s’invite régulièrement dans l’orchestre d’Albert Ayler et c’est au sein de celui-ci qu’il se rend souvent en Europe, où il décidera de s’installer définitivement. Au mitan des années 60 Don Cherry devient le capitaine d’un équipage international : son quintet comprend le saxophoniste argentin Gato Barbieri, le batteur italien Aldo Romano, le contrebassiste français Jean-François Jenny-Clark et le claviériste allemand Karl Berger. En 65 et 66, Don Cherry retrouve New York pour offrir au label Blue Note trois chefs d’œuvre d’un jazz attentif aux mélodies comme aux libres échappées belles.

La ligne alors se brise, ou plus exactement se pulvérise en d’innombrables flèches poursuivant chacune leur trajectoire. La terre est ronde aussi, immanquablement, Cherry retrouvera Coleman sur sa route régulièrement. Coleman le frère, le mentor, le repère. Entre temps, Don Cherry aura joué de tout et avec tous, et retenu du jazz l’art de l’improvisation, le geste de la rencontre, la surprise et l’inattendu faits musique.

Le jazz militant d’Old and New Dreams (où il retrouve ses compagnons des orchestres colemaniens) et du Liberation Music Orchestra (où il retrouve tous les musiciens les plus passionnants de la new thing), la musique-esperanto de Codona, la contemporanéité de Josef Penderecki, les dialogues avec Ed Blackwell ou Latif Khan ne sont que quelques traces du passage de l’insaisissable Don Cherry en quelques endroits identifiés de la planète. États-Unis, Europe, Inde, Turquie, Atlas, Afrique noire, Scandinavie… Cornet, trompette de poche, chant, piano, flûtes, mélodica, percussions… C’est finalement en Espagne, à Malaga, que Don Cherry termina son périple le 19 octobre 1995. C’est ici que les trajectoires multiples se réunirent enfin, pour ne former qu’un souffle, le dernier de Donald Cherry.

Garrison Fewell, la poursuite du son merveilleux

itw_Garrison-FewellGARRISON FEWELL
LA POURSUITE DU SON MERVEILLEUX

La musique de Garrison Fewell coule, vient à nous lentement telle une vague apaisée. Parfois, elle empruntera des chemins plus détournés, quelques circonvolutions en arabesque ou en trajectoires anguleuses, imprimera quelques accélérations aussi, mais reviendra bientôt à cette tranquille assurance, cette limpidité, cette évidence du son.

Car Fewell, c’est avant tout ce son qui ne souffre aucune coquetterie, aucune affectation, aucune inutile virtuosité ; un son sûr de lui-même. Le guitariste est un musicien qui sait s’effacer pour laisser la place aux autres et, plutôt que d’occuper l’espace à tout prix, Garrison Fewell ouvre de grandes brèches comme autant d’invitations pour ses compagnons à s’y engouffrer. Il nous rappelle, alors, qu’éloquence n’est pas bavardage, qu’autorité n’est pas omniprésence : « Respecter les possibilités des autres musiciens, ainsi que leurs propres contributions, même lorsqu’il s’agit de défendre ses propres compositions, permet de tirer parti de transformations et d’interactions spontanées. »

Quand on interroge Fewell sur ses influences, celui-ci refuse de choisir entre tradition et avant-garde : aux côtés des grands maîtres pionniers du genre (Jim Hall, Kenny Burrell) on trouve le diamant brut Derek Bailey. De ce dernier, Garrison Fewell a hérité le tempérament de sorcier d’une musique de l’instant et de défricheur des mille possibles de son instrument. La guitare entre ses mains doit être un « orchestre miniature » : « J’essaye de jouer de l’instrument au maximum de ses capacités, sur le manche mais pas seulement. »

Outre le jazz et la creative music, les musiques d’Orient sont pour Fewell une immense source d’inspiration : pour la sonorité aérienne des instruments qui l’incarnent (oud, shenai, sarode, etc.) comme pour la modalité qui permet de créer, en dilatant l’espace temps, les conditions idéales à l’improvisation. « Depuis des temps reculés, l’improvisation a toujours été un élément inhérent de la musique, les ragas indiens en sont un exemple. » L’Orient, c’est aussi pour Fewell le lieu de toutes les quêtes spirituelles et en particulier du bouddhisme, auquel il croit profondément. Evoquer la foi de Fewell ne sert aucunement l’anecdote mais nous ramène à ce son qui est son identité, l’essence même de son art : « Cela fait trente-trois ans que je suis adepte du bouddhisme et je travaille chaque jour dans le but d’approfondir ma connexion à la nature musicale que nous possédons tous : une sorte de vibration lumineuse de rythme et de son à laquelle nous pouvons nous connecter, qui dépasse l’esprit et l’environnement, transcende toutes limites et nous permet de mieux vivre en accord avec l’entier univers. Une triade est un peu le réglage sur lequel s’accorde l’harmonie des planètes et des intervalles de leurs relations. Dans le Lotus Sutra, il y a justement un Bodhisattva que l’on appelle « Son Merveilleux ».

Pour sa poursuite du « Son Merveilleux », le guitariste Garrison Fewell sait s’offrir les services de solides et lumineux compagnons. Citons bien sûr le vieux sage John Tchicai, rencontré en 2003, avec lequel il emmène un trio complété d’un autre saxophoniste, Charlie Kohlhase, et invitons à l’écoute de leur double album « Good Night Song ». Ici le trio, à la manière de celui de Jimmy Giuffre quelques décennies auparavant, sans contrebasse ni batterie, nous rappelle que le free peut être apaisé et source d’itinérances méditatives. Citons aussi l’alter ego Eric Hofbauer, partenaire en duo de guitares ou au sein du Variable Density Sound Orchestra, sextet important dans lequel s’invite le trompettiste Roy Campbell Jr. Ici aussi, Garrison Fewell crée les conditions d’une musique qui s’impose vite par son étrange beauté, de légèreté et densité mêlées.

Si jamais vous rencontrez Garrison Fewell au détour de son inlassable traque du Son Merveilleux, s’il vous plaît, rassurez-le : il est assurément sur le bon chemin.

Interview de Didier Petit

itw_didier-petitVioloncelliste précieux et créateur du label In Situ, Didier Petit vient de faire paraître « Don’t Explain », solo remarquable au point de s’être beaucoup fait remarquer.

JAP >>> « Dans les notes de pochette de ton disque « Don’t Explain », tu revendiques à propos de ton musique, de ton inspiration, la « porosité » qui semble t’habiter. Pourrais-tu évoquer cette
porosité? »

DP >>> Je dis effectivement que « nous » sommes poreux et cela malgré nous ou en accord avec nous. Il me semble que si il y a une « évolution » dans les dernières décennies, elle se situe précisément là. Il n’est pas nouveau de dire que nous sommes entourés par une quantité d’informations très importantes voire beaucoup plus importantes qu’il y a quelques dizaines d’années. Que l’on s’en aperçoive ou pas, ces informations très diverses nous traversent. Dans le domaine plus particulier de la musique, nous baignons dans des sons de tous ordres, organisés ou pas (certains appelleront cela « pollution sonore ») et dans la majorité des cas nous ne les choisissons pas. Il est tout à fait intéressant et par moment jubilatoire, d’être attentif à cette multiplicité sonore et d’en faire sa sauce. Par ailleurs nous sommes en liaison directement et indirectement avec toutes les cultures du Monde!!

Le mouvement entamé il y a un petit peu plus d’un siècle avec la première exposition universelle c’est accéléré et avec les nouveaux outils de communication il est pratiquement impossible d’exclure cette rapidité de notre vie. Nous pouvons par contre faire le choix de l’inclure dans une vision plus large et dans un temps plus long. C’est cela pour moi être poreux, ce n’est pas être contre ce mouvement irréversible, c’est être tout contre ! C’est accepter d’être traversé par ces mouvements et ces sons puis ensuite choisir un chemin qui nous appartient et de le proposer aux autres. A mon sens, l’avantage de cette situation c’est qu’il n’y a plus un cadre unique, une contrainte unique, une vision unique et que nous acceptons définitivement et joyeusement la complexité du monde. Bien sur, il peut exister quelque nostalgie à croire en l’unicité, à la solution unique, à penser le monde autour d’une ou deux idéologies mais nous savons tout des dangers de cette expérience. « Don’t Explain » c’est une proposition sensible et multiple parmi des millions d’autres et en relation avec tout ce qui entoure. C’est une mise en forme de tout ce dans quoi je baigne.

JAP >>> Alors « Don’t Explain » serait à la croisée de ces chemins : l’intime et le multiple ? La solitude et la diversité du monde ? Parlons de ce disque, si tu veux bien. Au soin avec lequel le disque est réalisé (les photos, les textes, la beauté de l’objet…), on pressent qu’il occupe une place très particulière dans ton œuvre. Es-ce exact ? Pourquoi est-il si important ?

DP >>> Il est tout à fait troublant de lire quelqu’un qui résume parfaitement en deux phrases ce que l’on a tenté longuement d’expliquer. Mais c’est bien ce que je pense et je vis et qui je crois s’exprime assez bien dans la musique de « Don’t Explain ». En tous les cas c’est ce qui apparait dans les retours que j’ai de cet album et que je n’explique pas !
Une place très particulière : oui et non ! Je dirais que les choses avec le temps se précisent doucement et « Don’t Explain » est bien dans la continuité de ce qui m’anime depuis 25 ans, qui est très banale et que je résume par : Dans la vie, nous n’existons pas sans les autres !

Pour en revenir au disque qui est un objet que j’aime car il est aussi à la croisée des chemins (dixit la collection « in situ »). Un disque n’existe pas en lui même, il existe par tous les gens qui le pensent, le fabriquent, le discutent, le diffusent et l’écoutent. D’une certaine manière le disque est une « communauté ». Je ne vais pas parler ici de toute la nébuleuse qui a fait exister celui-ci mais particulièrement de ceux qui ont été très présents, car on ne dira jamais assez qu’un album ce n’est pas que le projet d’un ou de musiciens ! Dans « Don’t Explain », chacun est venu enrichir ce bel objet par son écoute par le regard et par l’attention qu’il portait dessus. Théo Jarrier (allez vite à la boutique « Souffle Continu ») qui a trimbalé son humeur dans le studio et en dehors et qui a cette qualité énorme de parler très peu et d’avoir une présence très forte. Jean Rochard qui a une écoute très juste et sait la transmettre caché derrière la console d’enregistrement. Steve Wiese, l’énorme ingénieur du son attentionné et humble par excellence assisté de Miles Hanson à l’oreille aiguisée. Jean-Yves Cousseau, celui qui ressent parfaitement l’humeur de la musique pour lui trouver son écrin visuel, Francis Marmande fougueux écrivain qui sait faire parler les sons, Delia Morris mélomane avertie qui sait traduire la pensée des autres et Gilles Fruchaux, l’éditeur qui n’a pas froid aux oreilles et qui sait rester à l’écoute … Et bien sur toute la présence de ceux qui ont soutenu ce projet et qui se résume à une centaine de personne. Et pourquoi donc est-ce si important ?

Pour ce qui est de la musique, je ne suis évidement pas en train de construire une œuvre, je laisse cela aux gens sérieux. Je tente de rester attentif à ce qui m’entoure, appréhender ce que j’ai la capacité d’intégrer et donc ne pas déléguer à outrance ! La musique est pour moi basée sur de la pratique et de l’échange. Si elle est trop hiérarchisée, elle n’a plus de sens. Toute la difficulté quand on vit dans son époque (musicalement) c’est d’avoir un point de vue sur celle-ci mais surtout pas uniquement vu du haut. Etre les pieds bien dedans !!

JAP >>> « Don’t Explain », parce qu’il est un disque solo peut être, semble aussi être une déclaration d’amour au violoncelle. Tu y joues d’un violoncelle dans tous ses états (« gratté, chanté, frotté, piqué… » précises-tu dans les notes de pochette). Peux tu évoquer ta rencontre et ton rapport à cet instrument que l’on rencontre plutôt rarement dans le jazz et les musiques improvisées ?

DP >>> Sur cette question, il faut que je trouve ce fameux esprit de synthèse qui vous est cher car ayant débuté le violoncelle à 7 ans, cela fait quand même 40 ans que je me trimbale cette histoire qui est évidement joyeusement complexe! Je crois que le terme qui définit le mieux pour moi le rapport à mon instrument et également celui que j’ai à la musique est le mot « désacralisation ». Toute la musique occidentale savante repose sur le sacré et l’élévation de l’esprit ou si on préfère, la séparation du corps et de l’esprit. Dit rapidement cela signifie qu’on a le choix entre le corps d’un côté avec la musique de danse, la pop, le rock et tout le bordel qui va avec, d’une part et la musique classique, contemporaine, jazz (pas à ses débuts) musiques expérimentales et tout le bordel qui va avec, d’autre part. Je me suis donc attaché à ce qui réunit le tout, c’est à dire « tout le bordel qui va avec » !

De toutes les façons, cette séparation entre le corps et l’esprit ne m’a jamais humainement convenu, ni dans ma vie et encore moins dans ma pratique !

Par ailleurs, le fait que je joue du violoncelle est assez anecdotique vu que ce n’est pas moi qui l’ai choisi ! (à 7 ans un enfant ne choisit pas, il est directement influencé). En bref, quand vers 19 ans j’ai quitté le champ du classique car sociologiquement cela ne correspondait à rien dans la façon dont je vivais le monde (je ne le disais évidement pas comme cela à l’époque), il a fallu désapprendre complètement ce que l’on m’avait enseigné. C’est la pratique de ce désapprentissage qui m’a amené à redécouvrir cet instrument, voire à le découvrir complètement. Et progressivement j’en ai tiré les sons qui forment la matière sonore de mon jeu ! Je suis aujourd’hui plus serein sur un parcours qui fut assez chaotique mais en même temps assez riche en rebondissement et mon violoncelle sur lequel je joue depuis 30 ans a plutôt bien tenu le coup au vu de tout ce qu’il a subi !

Cela étant, je pourrais facilement dire que si mes parents avaient choisi la trompette, j’aurais probablement fait la même chose, idem pour la harpe, etc. C’est bien le processus qui compte, pas l’instrument et cela, même si aujourd’hui, ce corps à corps avec mon violoncelle remplit mon existence.

JAP >>> « Ainsi, l’important n’est ni l’instrument, ni le répertoire, ni la composition… Ce qui importe c’est le moment présent, et l’autre. La vie donc! Même si tu sembles vouloir farouchement t’affranchir de toute tradition, y a-t-il des musiciens ou des musiques qui ont compté pour toi et qui t’ont tracé la voie? Peut-on parler d’influences, de références, de déclics? »

DP >>> Bien sur qu’il y a des musiciens et des musiques qui ont fait des déclics. On est absolument influencé en permanence, soit de manière dynamique et/ou de manière trompeuse. Il m’est extrêmement difficile de citer tout ce qui a induit un parcours. Je peux parler du claveciniste Scott Ross quand j’avais 5 ans qui faisait tourner les crêpes de sa main gauche pendant qu’il travaillait sur le clavier de la main droite, je peux parler de Michel Portal que j’ai entendu jouer Mozart un soir et improviser avec Bernard Lubat le lendemain. J’avais 12 ans. Je peux parler d’une chanson que j’écoutais en boucle « Alfonsina Y el Mar » quand j’en avais 8. Je ne savais pas alors qui était cette Mercedes Sosa. Je l’ai redécouvert 35 ans après. Je peux parler de la perturbation intense en allant écouter les concerts du Sun Ra Arkhêstra et la sensation de la masse sonore en mouvement qui me soulevait du sol quand je jouais dans le Celestrial Communication Orchestra d’Alan Silva. D’un concert avec Marylin Crispell où j’étais bien trop jeune pour comprendre de quoi il était question. De la rencontre particulière avec Georges Russel qui m’écoutant jouer de la batterie me disait : « Tu devrais arrêter le violoncelle, tu ferais un très bon batteur ». De Sunny Murray me cassant la gueule parce que je ne suis qu’un petit blanc à la con qui ne pouvait pas s’occuper que de lui et de sa batterie (j’avais 21 ans). De 16 ans d’aventure musicale intense avec Denis Colin et Pablo Cueco, de ma rencontre avec Jean Rochard à discuter toute la nuit de musique dans la voiture qui nous amenait aux rencontres photographiques d’Arles. De la rencontre avec Théo Jarrier alors qu’il faisait sa revue Peace Warrior et qui est devenu l’oreille artistique de la collection in situ. De l’écoute, derrière une porte, de Cecil Taylor travaillant son piano quand j’avais 19 ans. D’une joute mémorable avec Iva Bittova à Luz Saint Sauveur, de ma rencontre inattendue à Moscou avec Leon Theremin, le célèbre inventeur méconnu. De la leçon de chant de Cathy Berberian à laquelle j’ai assisté à 10 ans. De mes escapades aux Etats-Unis et en Chine à rencontrer des musiciens qui se bataillent dans leur pays pour exister, de mes années à chanter des chants grégoriens et latins à la cathédrale de Reims ; j’avais 13 ans et plus. D’une journée agréable passée avec Noël Akchoté avant un concert à Radio France chez Anne Montaron. C’était il y a à peine un an …. Et je pourrais en mettre des dizaines de pages car je n’ai parlé que de ce qui gravite dans et autour de la musique. Et sans parler de ce qui va m’arriver …

On l’aura compris, je m’intéresse au fragile équilibre de la relation. Ma pratique musicale est principalement basée sur le désir d’appréhender mon environnement et de ne pas m’élever ni sublimer quoi que ce soit, plutôt désacraliser. J’aime qu’une rencontre me pousse à comprendre ce que je ne connais pas. Chaque son, chaque phrase, chaque rythme, chaque couleur musicale a du sens à partir du moment où elle parle autant au corps, c’est à dire à la relation, qu’à l’esprit. A partir du moment où elle trouve sa place dans mon environnement sonore. Je suis de ce fait dans une progression très lente et du coup j’appréhende ce que je fais et je suis heureux avec ce que je suis. Je l’applique le plus possible dans ma vie quotidienne également. Je pourrais aller plus vite mais cela nécessiterait de déléguer certains aspect de mon existence mais je ne le désire pas et je pense que c’est en contradiction avec ce que nécessite la musique, c’est à dire du temps. J’aime vivre au milieu des autres, pas au-dessus ! Je ne vois pas l’utilité ce la compétition, ni de la concurrence qui amène à ce que tout le monde fasse la même chose et donc ne favorise que celui qui va le faire mieux pour moins cher. J’aime ce qui est rare chez chacun d’entre nous ! Bref je suis totalement has been !

JAP >>> « Depuis le début de notre conversation, ton attachement pour une musique comme langage universel, comme source de vérité et d’humanité m’impressionne. On sent que tu souhaites tourner le dos à la société du spectacle et du divertissement. Et que la musique doit être pour toi aussi diverse, aussi foisonnante que les rencontres qui la provoquent. Je souhaiterais partager avec toi cette phrase de Milford Graves, et te demander ce qu’elle t’inspire… »"La musique doit se conduire dans l’instant même. La vie se fait à chaque instant, nouvelle et fraîche : il doit en être de même pour la musique ».

DP >>> Humanité, instant, fraîcheur, vie, attachement, diversité, foisonnement, rencontre, tout cela existe dans la vie comme dans la musique et je fais aisément miens tous ces mots. Je suis un indécrottable optimiste et j’aime les gens malgré moi. Je me questionne par contre souvent sur les mots vérité et universalité car ces mots sont très puissants. L’universalité en musique est quelque chose de compliqué car il n’est pas juste de penser que toutes les musiques peuvent communiquer entre elles et que la musique serait un langage universel. Elles se mélangent parfois, se côtoient souvent, se superposent encore plus souvent mais il n’est pas si aisé d’entrer dans le cœur d’une musique dont la culture nous échappe. C’est un peu comme aujourd’hui où tout le monde, moi y compris, voyage partout dans le monde en avion mais ne rencontre pas souvent la diversité du pays qu’il visite, voir pas du tout. C’est comme si y être allé était le plus important. Il y a bien sûr une façon d’être qui en étant ouverte facilite et peut permettre de toucher un territoire musical nouveau, mais là aussi, ce n’est pas toujours donné. Bref, si il y a une universalité, elle débute de toutes façons par notre attitude à aller vers … et pour la suite, comme dirait un ami très cher : « on bricole, on bricole !! »

Par ailleurs, y a-t-il une vérité en musique? Je n’en sais rien et je dirais que l’humilité est probablement plus importante que la vérité. Je trouve que notre époque est tout à fait formidable car les propositions musicales sont foisonnantes et nous admettons plus justement que le monde est très complexe. Nous savons qu’il n’existe plus « une vérité » qui va sauver le monde et si cela se confirme, c’est une très bonne nouvelle. Les musiques aujourd’hui n’étant plus automatiquement liées à une idéologie dominante, on peut les écouter simplement pour ce qu’elles sont, c’est à dire pour la résonance qu’elles ont dans notre histoire personnelle. Par des mouvements profonds que l’on ne comprend pas forcément mais qui nous parle. Par exemple, les échos que j’ai eu de « Don’t Explain » vont dans ce sens. Beaucoup y ont trouvé quelque chose qui m’échappe avec une très grande diversité de sentiments. Vive la multiplicité !

JAP >>> « Je ne voudrais pas finir cette discussion sans parler des projets qui ne doivent pas manquer de t’animer… Quels sont-ils? »

DP >>> Il y a beaucoup de projets sur le feu mais en ce qui concerne l’avenir immédiat, je repars en Chine à la fin du mois pour une nouvelle tournée avec le EAST-WEST Collective qui cette année sera en trio avec Xu Fengxia au Guzheng et Sylvain Kassap aux clarinettes. Cette tournée sera suivit d’une résidence à Tang Mo, un petit village au pied de la Montagne Jaune, berceau du Confucianisme. Je serai alors avec l’artiste Delphine Ziegler, la chorégraphe Aurore Gruel et toujours Xu Fengxia.

Par ailleurs, sur la saison 2010-2011 j’ai le désir de jouer « Don’t Explain » partout où cela est possible et je repartirai faire ma petite promenade annuelle aux Etats-Unis où je prends beaucoup de plaisir à rencontrer toujours de nouvelles personnes.

Interview de Didier Lasserre

itw_didier-lasserreLa liste est longue des partenaires en compagnie desquels Didier Lasserre a déjà attesté de son bel art percussif (de Daunik Lazro à Jean-Luc Guionnet en passant par Abdelhaï Bennani ou Seijiro Murayama). Ces derniers temps, le batteur se montrait deux fois à la hauteur du bien que l’on pense de lui : en membre de Snus sur et puis de Free Unfold sur Ballades. Assez, donc, pour le passer à la question…

JAP >>> « Il y a quelques mois sortait sur le label Ayler Records « Ballades » de Free Unfold Trio. Pourriez vous évoquez la genèse, et l’enregistrement de ce disque?  »

DL >>> Après un premier disque enregistré en 2006 pour le label Amor fati, et quelques (très rares) concerts, le désir s’est fait sentir de continuer à avancer avec ce trio, et, pour Benjamin, en allant vers un approfondissement vers plus d’air, vers une musique plus « simple », sans précipitations, en laissant la musique arriver, tranquillement.

Rendez-vous fut donc pris chez Gaël Mevel et Caroline Lagouge, à la campagne, où un beau piano et une pièce pleine de silence (et aussi quelques oiseaux) nous attendaient. Nous avons enregistré ce que nous avions à dire, dans cette direction, sans chercher toutefois à « forcer » les silences, à se contenir par trop. Puis après ré-écoute, Benjamin, qui dés le départ voulait faire un disque (vinyle), fut très très enthousiaste, et après sélection, 28 minutes furent choisies. Le titre « Ballades » s’imposa tout seul. Une souscription fut lancée, à laquelle pas mal de personnes ont répondu, puis Stéphane Berland, le directeur d’Ayler records, après écoute chez Benjamin, décida également de produire le disque sous forme CD. Son ami Bernard Minier prit une photo du trio dans un jardin parisien, pour un clin d’oeil, sans prétention, à Blue Note et au trio d’Ornette Coleman. Fabrice Fuentes nous écrit les notes de pochette : depuis le début donc, beaucoup d’aide, de soutien, de compréhension, d’amitié avec cet enregistrement, nous somme très chanceux, merci à eux tous.

Le disque est donc sorti sous sa forme CD en décembre 2009, le vinyle, du fait de soucis techniques, a pris du retard, mais il doit arriver sous peu. Voilà. Somme toute, une belle aventure. J’en remercie encore chaleureusement mes deux compagnons de musique.

JAP >>> « Ballads est donc sorti sur Ayler Records, un label important pour vous car y sortirent également en 2009 trois autres disques sur les quels vous figurez. D’abord, le trio avec Benjamin Duboc et Abdelhaï Bennani « In Side », puis « Symphony for Old and New Dimensions » du groupe Nuts, et enfin « Snus » avec Joel Grip et Niklas Barno. Comment voyez- vous aujourd’hui la place du disque dans le monde de la musique, et plus particulièrement du free jazz et des musiques improvisées? Le disque compte beaucoup pour vous? »

DL >>> Pour des musiciens comme moi et malheureusement comme pour beaucoup d’autres, le disque, comme me le disait Benjamin Bondonneau, clarinettiste et ami, est presque le seul moyen de se faire entendre, vu les occasions peu nombreuses qui nous sont données de jouer. Le disque peut donc être un beau moyen d’exister, de faire vivre un projet, de lui donner vie parfois, de le « fixer » et le faire circuler. Et bien sûr, en tant que document « historique », et parfois bel objet, le disque a pu changer, sans exagérer, le cours de ma vie.

Je pense à certains disques d’Ayler, de Coltrane, de Jimmy Lyons, et tant d’autres. Alors, bien modestement, on est content d’amener sa toute petite pierre, rien de plus. Je pense toutefois souvent à ce que disais Jimmy Lyons justement, un de mes musiciens préféré : « Nous devrions être conscients du fait qu’il y a trop de disques, trop de répétitions… Toujours les mêmes disques (…) Tout le monde peut enregistrer, et cela peut être très dangereux. » Parfois je me dis que j’aurais mieux fait d’y penser un peu plus, à cette dernière phrase ! Mais bon, je n’ai pas de regrets pour l’instant, il y a des choses que je n’aime pas dans chaque disque que j’ai enregistré, mais des choses que j’aime aussi, et je sais que certains disques ont compté pour quelques personnes, alors ce n’est pas perdu. Est-ce suffisant ? Je ne sais pas…

On dit parfois qu’un disque est comme une photographie, plus ou moins retouchée : je dirai juste que l’on essaie que la photo soit bonne ; mais qu’est-ce qu’une bonne photo ? Encore quelque chose que je ne sais pas. En tous cas, il est vrai que certains labels, ou plus exactement les personnes qui les font vivre, ont été et sont toujours très importantes pour rendre compte de ce que j’essaye de dire, de ce que nous essayons de dire, comme Amor fati bien sûr et en premier lieu, et aussi maintenant Ayler records.

JAP >>> « Vous évoquez les influences majeures que semblent avoir été Jimmy Lyons, John Coltrane et Albert Ayler… Et du coté des batteurs, quelles musiciens pour vous influents citeriez-vous? »

DL >>> Le premier qui m’a touché était Kenny Clarke, le son qu’il avait aux balais… Puis Max Roach, capable seul de créer une véritable musique, une vraie poésie. Que j’ai retrouvé ensuite chez Elvin Jones, les mailloches de « The drum thing » avec Coltrane & Garrison, cela m’a ému au plus haut point. De même que le Rashied Ali d’ « Intersteller space », quelque chose qui allait au delà de l’instrument, que l’on finissait par oublier. Puis Sunny Murray, celui de « Spiritual Unity », de « Witches & Devils » et « Jump Up », c’était tout simplement « autre chose » qui se passait, musicalement, socialement. Je me disais en écoutant ça, que tout restait possible. Mais beaucoup d’autres ont compté, le jeune Tony Williams, Laurence Cook (un grand oublié) Louis Moholo (un concert à New York avec Oliver Lake où tout était suggéré, doucement, mais avec une grande force) Paul Lytton (une des plus belles choses que j’ai entendu en direct), Paul Motian, Ed Blackwell, Sam Woodyard, Tom Price, Tony Oxley, Seijiro Murayama, Makoto Sato, (j’adore quand il joue doucement aux balais & mailloches)… Et puis la percussion et la musique traditionnelle coréenne, japonaise, tibétaine. Et puis le silence, et les sons de la nature.

JAP >>> « La découverte de la batterie, l’envie d’en jouer, comment tout ça est venu? »

DL >>> Au départ, la batterie était un moyen pour moi d’échapper à l’ennui, à l’ennui social. J’avais 16 ans. C’était un instrument à ma portée, moi qui ne savait rien de la musique, cela me semblait moins difficile que le reste (j’avais tort !) Puis en découvrant le jazz & le free, je me suis dit qu’il fallait que j’essaye, moi aussi, modestement, de trouver cet « autre chose » à vivre, de repousser un peu les contraintes sociales, auxquelles on n’échappe malheureusement pas. Tous ces grands musiciens écoutés jour après jour me confortaient dans l’idée que l’on pouvait être soi-même, et s’y tenir, même si tout était fait pour être découragé, et lâcher prise. On s’engage alors sur une route, longue, parfois difficile (sans se plaindre, c’est une chance inouïe que de pouvoir jouer) mais belle, je l’espère tout du moins pour ceux et celles qui écoutent !

JAP >>> « Nous avons évoqué quelques uns de vos projets collectifs… Mais ce qui caractérise votre démarche, et le rapport que vous entretenez à la batterie, c’est aussi d’une part l’exercice en solo, et d’autre part, les passerelles lancées avec la peinture, la poésie, la danse, le super8, la sculpture, la photographie…. »

DL >>> Le solo, en tant qu’auditeur de musique, a toujours été pour moi une situation très touchante : un être humain et son instrument… J’ai des souvenirs très forts de solos, notamment à New York en 2001, Malachi Favors à la contrebasse. J’ai toujours eu l’impression que c’est à cette occasion que l’on entend un musicien être le plus lui-même. Comme l’écrivait Robert Motherwell, peintre, « c’est le travail effectué dans un mode d’expression particulier par une personne qui a vécu une expérience »… J’aime bien cette phrase. Mais bien sûr c’est très risqué aussi, on n’a certes pas la « contrainte » du chemin de l’autre, mais on n’a pas son aide, sa générosité, tout ce qui peut faire la beauté d’un travail collectif… Seul, c’est aussi l’occasion, douloureuse parfois, de se dire : qu’est-ce que j’ai à dire ? Mais des auditeurs sont là parfois, ils donnent de l’énergie, le lieu où l’on joue aussi, et son propre instrument, qu’il faut certainement laisser nous « nourrir ». En tous cas il y a deux ans il a fallu que je mette ça dans un disque, après pas mal d’essais, de recherches, de difficultés. Il y avait une forme qui revenait, donnée je crois par les caractéristiques sonores de l’instrument lui-même, il y avait des choses que je ne pouvais m’empêcher de jouer, il a fallu les fixer pour pouvoir les dépasser. Aujourd’hui je continue, dans une forme qui se précise de plus en plus, comme si elle s’imposait à moi : je la laisse donc venir.

Quant aux passerelles avec les autres arts, c’est bien sûr nourrissant, même si les occasions de travail véritable sont rares. Chaque discipline a sa « matière propre » et l’équilibre est difficile à trouver avec la musique, il faut transformer ça en une matière commune… Certaines images de Tarkovski m’ont beaucoup aidé, certains poèmes aussi, comme ceux de Tristan Tzara pour ce disque enregistré seul. Travailler régulièrement avec Ly Thanh Tiên dans le domaine de la danse (sur les écrits d’Antonin Artaud) et le travail avec les films super 8 d’Hélène Paulais également (j’espère qu’un jour on découvrira enfin son travail, magnifique). D’une manière générale je recherche la poésie même si je sais bien que c’est un terme assez général et que tout le monde met ce qu’il veut là-dedans.

JAP >>> « A quelqu’un qui ne connaîtrait pas votre musique, et qui vous demanderait de la décrire, que lui répondriez vous?  »

DL >>> Je dirais simplement que ma musique, et ma façon de jouer, vise à une certaine poésie, à un rapport poétique au monde, et à mon instrument aussi (qui n’est pas considéré par beaucoup comme un instrument capable de générer ce type de rapport).
Je dirais aussi que, même venant du free-jazz (et je reconnais bien modestement tout ce que je dois à ce courant musical) ma musique tente d’être tout simplement ce que je suis, et j’essaye, à travers elle, de vivre « autre chose ». Et comme le disais Robert Motherwell que je cite ici à nouveau, « j’accorde de la valeur à la chaleur humaine », je veux dire aussi par là que ce que je joue, je l’espère, pourrait être entendu par n’importe qui, n’importe qui qui veuille s’en donner la peine.

Interview de Dennis Gonzalez

itw_dennis-gonzalezTrompettiste installé à Dallas, Dennis Gonzalez voit cette année paraître une poignée d’enregistrements qui célèbrent son association avec quelques figures de taille (Reggie Workman sur A Matter of Blood, Frank Lowe sur un Live enregistré par son Band of Sorcerers en 1989 ou Joe Morris sur Songs of Early Autumn) ou sa complicité avec ses deux fils (à entendre sur The Great Bydgoszcz Concert), auxquels il doit, voici une dizaine d’années, d’avoir renoué avec la musique…

JAP >>> « Vous avez sorti, en cette année 2009, deux grands disques très inspirés. Tout d’abord « A Matter of blood » en 4tet, assez sombre et énigmatique, et « Scape Grace » en duo, plus lumineux. Je pense sincèrement que nous parlerons encore de ces deux disques dans de nombreuses années.
Pensez-vous vivre une étape particulière dans votre carrière de musicien, ou n’est ce qu’une suite naturelle de votre parcours commencé il y a 30 ans maintenant? »

DG >>> La réponse est là entre les deux suggestions…
Sans compter les deux disques que vous mentionnez, j’ai sorti d’autres disques cette année…c’est mon année la plus productive, la plus fertile de toute ma carrière, même en prenant en compte les « années Silkheart». La nouvelle compagnie lithuanienne, No Business Records, a sorti « Songs of Early Autumn », mon disque avec le grand guitariste Joe Morris (qui joue ici de la contrebasse). Mes fils et moi-même (notre groupe Yells At Eels) – avec le saxophoniste portugais Rodrigo Amado – avons sorti un nouvel enregistrement en concert en Pologne nommé « The Great Bydgoszcz Concert » sur le label français Ayler Records. Et enfin, Qbico Records a sorti le LP/CD « Hymn for Tomasz Stańko » dans lequel je mène un groupe avec le saxophoniste légendaire de Detroit Faruq Z. Bey, l’ancien leader de Griot Galaxy.

Je vous remercie pour les mots au sujet des deux disques mentionnés, et j’espère vraiment qu’on parlera encore dans plusieurs années de ces deux disques. C’est difficile dans la vie d’un musicien de jazz quand on est oublié, c’est pourquoi je prie pour que « Blood » et « Scape Grace » m’aident à pénétrer les esprits et les oreilles des amateurs de jazz partout dans le monde.

Pour finir de répondre à votre question, je pense que depuis 2004, ces cinq dernières années ont été une nouvelle étape de créativité pour ma musique. J’ai commencé ma carrière à la fin des années 70, et j’ai vécu plusieurs étapes – différentes directions, des hauts et des bas – tout au long de ces trente années. Mais au final, je pense qu’il y a une cohérence dans mon travail, malgré tous les styles et tous mes groupes… On m’a souvent dit qu’on pouvait reconnaître mon son sur chacun des disques que j’ai enregistrés, avec des musiciens connus comme inconnus… Cela ne cesse de m’étonner !

JAP>>> Parlons un peu de Matter of Blood » si vous voulez bien. Il y a dans ce disque une sonorité formidable, ample et mystérieuse, due à l’alchimie entre les 4 musiciens, qui semblent tous au meilleur de leur créativité. Pouvez-vous nous parler de ce disque, et des musiciens qui y jouent? »

DG >>> Évidemment, le musicien le plus important et le plus connu sur la session est le contrebassiste légendaire de John Coltrane, et un des plus doués techniquement de tous les bassistes de jazz – un joueur brillant dans le hard bop et dans l’avant-garde – Reggie Workman, qui a maintenant 76 ans. J’ai fait sa connaissance il y a 28 ans en Finlande, lors du Festival Pori, où il jouait avec le batteur maintenant décédé, Edward Vesala. Puis nous nous sommes à nouveau rencontrés pendant le Festival de Jazz de Ljubljana, où il menait des workshops et des performances avec sa femme Maja, la grande danseuse moderne yougoslave. On avons un peu discuté, de rien en particulier, puis nous nous sommes promis de faire de la musique ensemble “un de ces jours”. J’attendais patiemment depuis que le bon moment se présente pour que nous puissions collaborer idéalement…quand Marty Monroe, de Furthermore Recordings, m’a encouragé à ne pas laisser filer le temps. Avec l’aide de mon ami Oliver Lake et grâce à Mr Workman lui-même, nous avons enregistré à Brooklyn le 30 décembre de l’an passé.

Je vraiment été très surpris de la fluidité et du naturel avec lesquels son jeu de contrebasse s’est intégré à ma musique. Je n’ai pas assez de mots pour décrire ce qu’il a accompli sur cet enregistrement, pour évoquer la tendresse et les cris de son instrument. Il faut vraiment l’écouter sur se disque !

J’ai joué à New York au Tonic avec Ellery Eskelin et Mark Helias en 2003, et le batteur Gerald Cleaver aurait du nous accompagner, mais comme Cleaver n’était pas là à l’heure, nous l’avons remplacé par Michael T.A. Thompson. Ce concert sorti sur le label Clean Feed sous le nom de « Dance of the Soothsayer’s Tongue ». Thompson possède un sens quasi-psychique sur la batterie…il est excellent, c’est un des mes batteurs préférés de la scène new-yorkaise. Nous sommes également de bons amis !

Et maintenant, quelques mots concernant le pianiste. En 1983, la compagnie de disques Nimbus m’a envoyé un CD avec un jeune pianiste de Los Angeles, Curtis Clark. Il jouait sur ce disque avec le sud-africain Louis Moholo (avec qui j’allais faire un disque en 1985) et aussi avec le saxophoniste anglais Andy Sheppard. Le disque s’appelait « Live at the Bimhuis ». J’ai trouvé la musique fraîche et pleine de swing, avec des moments totalement fous et free. Dès ce moment là, j’ai décidé que je jouerais avec Curtis dans l’avenir. Mais il a habité à Amsterdam pendant vingt ans, et ce n’est que récemment qu’il est revenu en Amérique, pour des raisons qui me sont inconnues. Ce disque a été pour moi la chance de jouer avec un pianiste extraordinaire.

JAP >>> « Revenons bien en arrière… Qu’est ce qui vous a donné envie de jouer de la musique? Pouvez vous nous expliquer quel chemin vous a mené jusqu’à l’apprentissage de la trompette, et jusqu’au jazz? »

DG >>> Je joue de la trompette depuis l’âge de 10 ans, et mon rapport à la trompette a vraiment changé au cours des 45 années. Quand j’ai commencé la première fois à jouer, c’était parce que je me suis rendu compte que dans l’orchestre de l’école, la trompette était habituellement l’instrument solo. J’ai été timide toute ma vie, et je me disais que c’était une manière d’attirer l’attention sans trop en faire. J’ai vite aimé la puissance du son de l’instrument… et puis c’était mon premier jouet de valeur ! À la maison, le jazz qu’on écoutait était celui de l’ère swing, période qu’affectionnait beaucoup mon père. Je préférais alors les disques de Stan Kenton, parce qu’il était très expérimental pour cette période.

Avant 1969, je ne me rendais pas du tout compte du poids historique de la trompette dans le jazz, jusqu’à ce qu’un des leaders de l’orchestre remarque une tendance dans mon jeu à la « décomposition » lors des concerts du groupe et m’offre un album de Sam Rivers sur Blue Note, « Contours », avec Freddie Hubbard à la trompette. La musique était si inhabituelle et « out » ! C’était exactement de ce dont j’avais besoin pour m’ouvrir sur une pratique plus moderne de la trompette et pour que je continue à avoir envie de jouer en concert.

J’ai été élevé dans l’église baptiste, ce qui est peu commun pour un américain d’origine mexicaine, et la musique jouée dans les églises puise beaucoup dans le chant religieux des noirs, dans les hymnes écrits par les gens du sud des États-Unis qui ont été influencés eux-mêmes par la musique des Afro-Américains. Ces chansons et ces hymnes sont profondément ancrés dans mon coeur et dans mon esprit. Ainsi quand j’ai commencé à jouer du jazz (je jouais au tout début plutôt du rock-and-roll), ces chansons religieuses ont naturellement commencé à transparaître dans ma musique. C’est en partie pour cette raison que je me réclame de la musique afro-américaine…

Quand je commençais à jouer le jazz, dans le 70s, les mouvements tels que « Black Power » et « Black is Beautiful » étaient déjà bien présents, et les jazzmen afro-américains qui jouaient « free » ne jouaient que très rarement avec des musiciens blancs, mais je pense qu’ils ont compris que ma condition d’hispano-américain, de « latino », me faisait vivre les mêmes difficultés que les leurs, que mon peuple souffrait comme souffrait le peuple noir. Car nos deux peuples combattaient alors également pour être mieux entendus et reconnus, ont été tous deux impliqués dans la lutte pour les droits civiques. Ils m’ont donc vu comme un de leurs « frères », pas en couleur de peau, mais dans l’esprit. Ainsi quand j’ai commencé d’enregistrer pour des labels internationaux et plus réputés, j’ai de plus en plus joué dans des groupes “noirs” : ceux de John Purcell, Malachi Favors, Ahmed Abdullah, Charles Brackeen, Max Roach, Cecil Taylor, « Kidd » Jordan, Alvin Fielser, Roy Hargrove, Louis Moholo, et beaucoup d’autres… Mais en même temps que je pénétrais plus avant les cercles de la grande musique noire, je continuais de jouer avec des musiciens européens.

JAP >>> Cette proximité avec la Great Black Music, on peut la retrouver dans la fondation de la Daagnim (Dallas Association for Avant Garde and Neo Impressionistic Music), qui pourrait être pour la scène musicale de Dallas l’équivalant de l’AACM à Chicago ou la Jazz Composer’s Guild Association fondée par Bill Dixon à New York. Pouvez vous nous parler de la Daagnim ?

DG >>> Quand je me suis installé à Dallas, j’ai vite compris que les musiciens de jazz y pratiquent le système traditionnel du « paying your dues », c’est à dire que vous devez aller vous présenter en personne aux musiciens plus âgés et leur demander s’ils sont d’accords pour que vous jouiez avec eux en deuxième partie de soirée. Alors, vous prenez votre instrument et priez le musicien principal de vous laisser jouer sur la scène après qu’il vous ait entendu… vous savez, le vieux système de « paying your dues ». Je n’ai pas voulu faire cela. Je n’ai pas voulu prendre le temps, et de toute façon je n’aimais pas la musique qu’ils faisaient. Je veux dire, j’aime les standards, mais je ne ressentais pas l’envie de jouer ces standards à ce moment-là. Je composais déjà ma propre musique. En outre, la musique que j’entendais dans ma tête était très différente de ce que ces musiciens-là jouaient. Et puis je me suis aperçu qu’il existait d’autres musiciens, qui n’étaient pas fous – comme j’avais pensé que je l’étais – et qui jouaient un jazz « straight-ahead » comme le mien. Et nous avons commencé, d’une manière ou d’une autre, à nous trouver. J’ai toujours gardé mes oreilles grandes ouvertes !

De plus, j’ai animé une émission de jazz où je passais beaucoup cette nouvelle musique, et les gens m’appelleraient pour me dire : « Ouah, vous connaissez la musique de l’Art Ensemble ? Vous savez qui est Julius Hemphill ? ». Quand je passais la musique de ECM, les gens étaient étonnés de l’entendre programmée à la radio. Là aussi, peu à peu, nous avons commencé à nous rendre visite et à discuter.

Nous avons commencé à jouer, composer et travailler ensemble, sans vrai but ou direction précise. Je pense que nous attendions “le grand moment”, et ce grand moment est arrivé en 1979. J’étais en Californie avec mon frère et j’ai décidé de téléphoner au pianiste Art Lande. Il était très aimable, très gentil, et m’a dit : « Venez parler avec moi. » Ainsi a débuté une relation de 4 ou 5 ans. Un jour, il a fait le déplacement jusqu’ici à Dallas pour faire un gig solo de piano pendant trois nuits dans un club du centre ville. Le patron du club n’a rien payé à Mr. Lande, alors j’ai décidé de le payer avec mon propre argent, ce que Lande a apprécié. Pendant ces trois jours, Lande avait aussi animé un grand workshop pour les musiciens de Daagnim, pendant lequel il nous avait dit avec force : « Je vais vous montrer comment monter une petite association. Car tout le monde aujourd’hui essaie de faire la même chose pour survivre musicalement : l’AACM, les personnes de BAG… Vous savez, Houston a également un collectif, Minneapolis/St. Paul aussi, même Atlanta a un collectif. » C’est ainsi que Daagnim a commencé. Pendant 6 ou 7 ans nous avons beaucoup travaillé, et c’est moi qui dirigeais le collectif.

Mais les années passaient et j’étais le seul qui travaillait pour l’association, qui organisait des concerts et des enregistrements. J’ai sorti 25 disques sur le label Daagnim Records. Ce qui me fait le plus rire, c’est que ces types, alors qu’ils étaient mes amis et associés, ne m’ont jamais proposé de mener ensemble un projet, ni proposé de m’aider quand par exemple Anthony Braxton était venu chez moi pour animer un workshop. Cela ne les intéressait pas de m’aider. Alors, après un moment, j’ai juste sorti mes propres disques, j’ai cessé de m’occuper des autres, et me suis concentré sur ma propre musique. Et c’est à ce moment-là que ma carrière a marché. C’est aussi à ce moment-là j’ai rencontré le saxophoniste John Purcell. Et puis j’ai rencontré DeJohnette, qui a été très aimable avec moi, très gentil. Le momentum était arrivé, et je rencontrais de plus en plus de personnes qui comptaient dans le nouveau jazz.

Certains de ces types du collectif qui comptaient sur moi ont été très blessés quand j’ai décidé de privilégier ma propre carrière et que je les ai laissés seuls. Je ne regrette pas ma décision parce qu’elle a influé de manière positive sur ma vie et ma musique. Et l’effet positif que Daagnim a eu sur moi personnellement et sur ma musique, c’est que nous avons joué beaucoup de musique créative ! Nous avions un forum sur lequel nous essayions nos nouvelles compositions et nos nouvelles idées quasi quotidiennement. C’est grâce à Daagnim que nous avons pu faire notre propre musique !

JAP >>> Lesquels de vos disques conseilleriez vous à quelqu’un qui voudrait découvrir votre musique ? Autrement dit, de quels disques, ou de quelles collaborations, êtes vous plus particulièrement fier, ou vous souvenez vous avec bonheur?

DG >>> C’est difficile pour moi de choisir quelques uns de mes disques qui seraient mes préférés, ou de suggérer à quelqu’un où il devrait commencer à écouter ma musique…car j’aime beaucoup toute ma musique, tous mes disques. Je viens de recevoir aujourd’hui une chronique d’un de mes nouveaux disques, et le critique y écrit : « Il s’investit dans chaque session et chaque concert avec la même intégrité. Je tends à penser que tout ce que Dennis Gonzalez fait, il le fait pour laisser une trace. » Vous voyez, je suis heureux de lire qu’une personne estime que je mets tout que j’ai dans chaque session.

Cependant, je vais choisir quelques uns de mes disques, comme vous me le demandez ! Je pense que les quatre choix principaux pour quelqu’un qui pourrait vouloir commencer à écouter ce que je fais sont :

1) «Catechism» – Dennis Gonzalez Dallas – London Sextet (daagnimRecords).
Enregistré à Londres en 1987, avec la crème des joueurs de la scène anglaise (Canterbury / Soft Machine), sud-africaine (Elton Dean, Keith Tippett, Louis Moholo, Marcio Mattos) et deux amis de Dallas (le trompettiste Rob Blakeslee et le tromboniste Kim Corbet). Cet enregistrement m’a ouvert les yeux sur la possibilité de travailler internationalement, à un haut niveau de jeu et de musique ! Le climat développé dans ce disque est presque orchestral.

2) «Little Toot» – Dennis Gonzalez / John Purcell 6tet (daagnimRecords).
Enregistré à Dallas en 1985, avec le grand saxophoniste John Purcell, un fidèle de Jack DeJohnette. Ce disque a fait prendre conscience au monde du jazz qu’il y avait en provenance de Dallas une musique de dimension internationale et que son leader, Gonzalez, était prêt à élargir encore et toujours ses conceptions de la composition et de l’improvisation !

3) «Stefan» – Dennis Gonzalez New Dallas Quartet. Parce que c’était mon premier disque (LP et CD) sorti sur le grand label Silkheart en 1987, et parce qu’il swingue férocement, il a touché un plus large public que je n’aurais jamais pu l’imaginer. Ma carrière a pu ensuite se développer beaucoup plus rapidement, une fois ce disque réalisé. Une nouvelle fois, Mr Purcell me fait l’honneur de sa présence sur ce disque…

4) «A Matter of Blood» – Dennis Gonzalez Matter of Blood Quartet (Furthermore Recordings). 2009 – Le grand bassiste Reggie Workman offre à cet enregistrement une base solide, sur laquelle nous avons pu construire le drive et la sensibilité du quartet. J’ai rarement sonné aussi juste, je pense, que sur ce disque là. Beaucoup de personnes ont déjà comparé cette session aux enregistrements originaux du label Blue Note.

JAP >>> « Vous évoquez le grand contrebassiste Reggie Workman. Un autre grand contrebassiste, Henry Grimes, a signé son premier disque depuis 37 ans, en 2004, sur votre label daagnimRecords. Il s’agit du disque Nile River Suite, sur lequel vous jouez de la trompette. Pourriez vous nous raconter l’histoire de votre rencontre avec Henry Grimes? »

DG >>> Tout d’abord, pour être complètement précis, le CD Nile River Suite est entièrement mon projet comme leader, et Henry Grimes est mon invité spécial…et je n’ai pas seulement joué de la trompette sur l’enregistrement. J’ai écrit la musique ; j’ai réuni les musiciens ; j’ai préparé la session ; j’ai pris en charge les coûtes du projet ; j’ai aussi enregistré et fait le mixage de la musique. Naturellement, Henry est un des plus grands musiciens avec qui j’aie jamais eu l’honneur de jouer. Et comme vous l’avez mentionné, c’était son premier disque depuis 37 années, depuis qu’il avait quitté New York et disparu à Los Angeles.

J’avais lu que quelqu’un avait retrouvé Henry, et que ce dernier habitait une pièce minuscule dans un vieux bâtiment et que son travail était de nettoyer ce bâtiment. Il était le concierge ; le gardien. Cet homme qui a joué avec Don Cherry, le grand Sonny Rollins, et tellement d’autres qu’il serait impossible d’en faire la liste …il en était réduit à vivre dans un trou où il survivait à peine. Henry Grimes retrouvé, toutes sortes d’histoires ont commencé à s’écrire au sujet de sa résurrection, de son retour, mais je suis aperçu que personne n’avait enregistré cette nouvelle « incarnation » de Henry Grimes.

Le trompettiste Roy Campbell de New York m’a alors promis qu’il m’aiderait à trouver le moyen de faire jouer Henry dans un de mes disques, parce qu’ils étaient devenu amis et collaborateurs pendant les mois précédents. Il m’a dit que la première chose à faire était de contacter la nouvelle femme (et manager) de Henry Grimes, Margaret Davis. Margaret contrôlait tous les déplacements et les concerts de M. Grimes et elle a vraiment été géniale et très aimable avec moi, en m’aidant à mener à bien cette session. À ce moment-là, M. Grimes faisait face à une sorte de “choc culturel”… Imaginez : il est paumé dans un studio minuscule à Los Angeles pendant des années, et d’un coup il devient une sorte de légende, reconnu dans le monde entier, voyageant à nouveau et retrouvant ses vieux amis, en rencontrant de nouveaux par milliers, et ça en l’espace de deux ou trois semaines ! Il m’a semblé très timide, très renfermé, et il ne m’a dit que peu de mots pendant la journée d’enregistrement, ou lors du concert au Bowery Poetry Club qui se déroulait plus tard dans la soirée. Mais quand il a pris sa basse – un cadeau de William Parker – il a recouvré ses facultés de communication et a alors pu exprimer ses peurs les plus profondes comme son bonheur, ses joies et les épreuves qu’il avait traversées… et il a maîtrisé parfaitement son jeu, et le sens de ma musique.

Cette rencontre fut dans ma vie musicale un moment étrange et beau…

JAP >>> « Vous êtes musicien, compositeur, vous avez créé un label, vous écrivez de la poésie, vous peignez, vous enseignez la musique aussi… On est loin avec vous de l’image de l’artiste seul dans sa tour d’ivoire. Au contraire vous donnez l’impression de vouloir être relié au monde et aux gens de toutes les manières possibles. Croyez vous que les artistes ont un rôle important à jouer dans le monde d’aujourd’hui? »

DG >>> Je pense que l’image de l’artiste dans sa tour d’ivoire, cette image n’est plus valable aujourd’hui, bien que j’en aie connu quelques-uns comme cela dans une autre époque. Une époque où les musiciens et les plasticiens vivaient dans leur monde, mais ce n’est plus vrai aujourd’hui. Les artistes de notre temps, forcément, sont engagés dans le monde, décryptant tous les signaux que ce monde leur envoie – que ce monde nous envoie. C’est notre oeuvre d’être disponible et prêt à recevoir ces signes annonciateurs, ces avertissements sur ce qui est en train d’advenir.

C’est un sentiment qui peut sembler un peu naïf, mais j’aime le monde des personnes humaines et j’aime le monde de l’esprit, et mon art, ma musique et mon écriture se fondent entièrement sur ces deux mondes. Quand j’étais enfant, j’appartenais à deux cultures différentes, j’étais un enfant d’ascendance mexicaine/espagnole dans le monde blanc de l’Amérique… J’ai grandi en parlant deux langues, partagé entre deux modes de vie et ceci m’a aidé à comprendre que le monde se compose lui-même de beaucoup de mondes différents, d’univers différents, tous riches et possibles. C’est grâce à ma sensibilité artistique que j’ai pu entrevoir ces univers, qui sont pour moi autant de cadeaux.

Et j’ai également compris que si je ne réclamais pas ces cadeaux et ne les mettait pas en valeur, je perdrais alors ma vision et ma compréhension de l’univers. C’aurait été une grande perte pour moi.

Le rôle que je crois que l’artiste devrait jouer dans le monde est de voir à distance, de voir hors du temps. C’est notre travail de montrer ce qui est invisible, pour révéler d’autres possibles, plus grands. C’est notre travail d’écouter et de sentir ce qui n’est pas évident et de le transmettre à nos semblables.

Je remplis ce rôle le plus profondément et le plus sérieusement possible.