Garrison Fewell, la poursuite du son merveilleux

itw_Garrison-FewellGARRISON FEWELL
LA POURSUITE DU SON MERVEILLEUX

La musique de Garrison Fewell coule, vient à nous lentement telle une vague apaisée. Parfois, elle empruntera des chemins plus détournés, quelques circonvolutions en arabesque ou en trajectoires anguleuses, imprimera quelques accélérations aussi, mais reviendra bientôt à cette tranquille assurance, cette limpidité, cette évidence du son.

Car Fewell, c’est avant tout ce son qui ne souffre aucune coquetterie, aucune affectation, aucune inutile virtuosité ; un son sûr de lui-même. Le guitariste est un musicien qui sait s’effacer pour laisser la place aux autres et, plutôt que d’occuper l’espace à tout prix, Garrison Fewell ouvre de grandes brèches comme autant d’invitations pour ses compagnons à s’y engouffrer. Il nous rappelle, alors, qu’éloquence n’est pas bavardage, qu’autorité n’est pas omniprésence : « Respecter les possibilités des autres musiciens, ainsi que leurs propres contributions, même lorsqu’il s’agit de défendre ses propres compositions, permet de tirer parti de transformations et d’interactions spontanées. »

Quand on interroge Fewell sur ses influences, celui-ci refuse de choisir entre tradition et avant-garde : aux côtés des grands maîtres pionniers du genre (Jim Hall, Kenny Burrell) on trouve le diamant brut Derek Bailey. De ce dernier, Garrison Fewell a hérité le tempérament de sorcier d’une musique de l’instant et de défricheur des mille possibles de son instrument. La guitare entre ses mains doit être un « orchestre miniature » : « J’essaye de jouer de l’instrument au maximum de ses capacités, sur le manche mais pas seulement. »

Outre le jazz et la creative music, les musiques d’Orient sont pour Fewell une immense source d’inspiration : pour la sonorité aérienne des instruments qui l’incarnent (oud, shenai, sarode, etc.) comme pour la modalité qui permet de créer, en dilatant l’espace temps, les conditions idéales à l’improvisation. « Depuis des temps reculés, l’improvisation a toujours été un élément inhérent de la musique, les ragas indiens en sont un exemple. » L’Orient, c’est aussi pour Fewell le lieu de toutes les quêtes spirituelles et en particulier du bouddhisme, auquel il croit profondément. Evoquer la foi de Fewell ne sert aucunement l’anecdote mais nous ramène à ce son qui est son identité, l’essence même de son art : « Cela fait trente-trois ans que je suis adepte du bouddhisme et je travaille chaque jour dans le but d’approfondir ma connexion à la nature musicale que nous possédons tous : une sorte de vibration lumineuse de rythme et de son à laquelle nous pouvons nous connecter, qui dépasse l’esprit et l’environnement, transcende toutes limites et nous permet de mieux vivre en accord avec l’entier univers. Une triade est un peu le réglage sur lequel s’accorde l’harmonie des planètes et des intervalles de leurs relations. Dans le Lotus Sutra, il y a justement un Bodhisattva que l’on appelle « Son Merveilleux ».

Pour sa poursuite du « Son Merveilleux », le guitariste Garrison Fewell sait s’offrir les services de solides et lumineux compagnons. Citons bien sûr le vieux sage John Tchicai, rencontré en 2003, avec lequel il emmène un trio complété d’un autre saxophoniste, Charlie Kohlhase, et invitons à l’écoute de leur double album « Good Night Song ». Ici le trio, à la manière de celui de Jimmy Giuffre quelques décennies auparavant, sans contrebasse ni batterie, nous rappelle que le free peut être apaisé et source d’itinérances méditatives. Citons aussi l’alter ego Eric Hofbauer, partenaire en duo de guitares ou au sein du Variable Density Sound Orchestra, sextet important dans lequel s’invite le trompettiste Roy Campbell Jr. Ici aussi, Garrison Fewell crée les conditions d’une musique qui s’impose vite par son étrange beauté, de légèreté et densité mêlées.

Si jamais vous rencontrez Garrison Fewell au détour de son inlassable traque du Son Merveilleux, s’il vous plaît, rassurez-le : il est assurément sur le bon chemin.

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