Si la trajectoire de Don Cherry devait être, en son entame, rectiligne, égrenant les attendus repères chrono-biographiques, elle adoptera vite la courbe comme motif, l’arrondi du point d’interrogation, la sinuosité des vents et courants, la circularité à l’instar de la planète qu’il n’aura de cesse d’arpenter curieusement.
De la ligne droite liminaire, rappeler donc quelques marqueurs…
1936 : naissance métissée de Donald Cherry en Oklahoma d’un père noir américain et d’une mère indienne chocktaw.
1940 : installation de sa famille à Los Angeles, où le jeune Donald apprendra le piano et la danse.
1948 : apprentissage de la trompette.
1951 : participation aux formations de Red Mitchell, Wardell Gray et Dexter Gordon
1957 : rencontre déterminante avec Ornette Coleman.
On connaît la suite. Les mélodies étranges, gaies et tristes à la fois du saxophoniste alto se pareront toujours du son acide de la trompette de Don Cherry. Du moins jusqu’en 1962, date à laquelle Cherry, fort de quelques incartades avec Coltrane et Lacy, quittera Coleman et s’associera à Sonny Rollins. En 1964, Don Cherry s’invite régulièrement dans l’orchestre d’Albert Ayler et c’est au sein de celui-ci qu’il se rend souvent en Europe, où il décidera de s’installer définitivement. Au mitan des années 60 Don Cherry devient le capitaine d’un équipage international : son quintet comprend le saxophoniste argentin Gato Barbieri, le batteur italien Aldo Romano, le contrebassiste français Jean-François Jenny-Clark et le claviériste allemand Karl Berger. En 65 et 66, Don Cherry retrouve New York pour offrir au label Blue Note trois chefs d’œuvre d’un jazz attentif aux mélodies comme aux libres échappées belles.
La ligne alors se brise, ou plus exactement se pulvérise en d’innombrables flèches poursuivant chacune leur trajectoire. La terre est ronde aussi, immanquablement, Cherry retrouvera Coleman sur sa route régulièrement. Coleman le frère, le mentor, le repère. Entre temps, Don Cherry aura joué de tout et avec tous, et retenu du jazz l’art de l’improvisation, le geste de la rencontre, la surprise et l’inattendu faits musique.
Le jazz militant d’Old and New Dreams (où il retrouve ses compagnons des orchestres colemaniens) et du Liberation Music Orchestra (où il retrouve tous les musiciens les plus passionnants de la new thing), la musique-esperanto de Codona, la contemporanéité de Josef Penderecki, les dialogues avec Ed Blackwell ou Latif Khan ne sont que quelques traces du passage de l’insaisissable Don Cherry en quelques endroits identifiés de la planète. États-Unis, Europe, Inde, Turquie, Atlas, Afrique noire, Scandinavie… Cornet, trompette de poche, chant, piano, flûtes, mélodica, percussions… C’est finalement en Espagne, à Malaga, que Don Cherry termina son périple le 19 octobre 1995. C’est ici que les trajectoires multiples se réunirent enfin, pour ne former qu’un souffle, le dernier de Donald Cherry.