Mal Waldron trio
Blood And Guts
Futura 1970 (réédition 2012)
L’amitié qui lia le pianiste américain Mal Waldron et le producteur français Gérard Terronès dès 1965, année de l’installation du musicien en terre européenne, permit à quatre disques de voir le jour. La seule année 1970 en fit naître deux, témoignages de concerts donnés par Waldron au Centre Culturel Américain à Paris, et parus sur le label d’alors de Terronès, Futura. Le 19 novembre 1970 était enregistré le disque de piano solo The Opening. Quelques mois plus tôt, le 12 mai, Mal Waldron se produisait au sein d’un trio, aux côtés des musiciens français Patrice Caratini (contrebasse) et Guy Hayat (batterie). Si l’un demeure désespérément rare, l’autre, Blood And Guts, est réédité par les disques Futura et Marge.
Blood And Guts, ce sont quatre titres, excédant chacun dix minutes : trois compositions de Mal Waldron (Blood And Guts, Down At The Gill’s et La Petite Africaine) et une reprise du standard My Funny Valentine. Quatre longues interprétations hypnotiques qui font resurgir ces mots d’Alain Tercinet au sujet du pianiste : « Une grande économie de moyens, aussi bien dans son jeu que dans son écriture, et une gestion « virtuose » de la réitération lorsqu’il improvise, ce qui n’est pas sans engendrer une espèce de fascination. »
Ce disque semble en effet proposer l’essence de la musique de Waldron, et la configuration en trio, que le pianiste affectionnait par-dessus toute autre, lui permet en un seul geste de se poster tantôt en rythmicien, tantôt en mélodiste.
Tout l’art de Waldron est là : la fausse simplicité de ses mélodies et l’attention au silence, héritées de Thelonious Monk, ainsi que la danse-transe d’accords inlassablement répétés.
Le disque s’ouvre avec le titre Blood And Guts, au rythme très enlevé. Mal tourne autour de la mélodie, la cerne en une course de plus en plus rapide, la travaille jusqu’à la mettre à nu, pour soudain se taire, littéralement s’évanouir. Après un très beau solo de contrebasse, Mal réveille son piano, le remet debout, titube et trébuche avec lui puis, soutenu par la batterie, retrouve lentement force et boussole. Dans ce corps à corps du pianiste avec son instrument, Patrice Caratini et Guy Hayat sont toujours justes, précis, ne sombrant jamais dans une virtuosité vaine mais faisant plutôt résonner en leurs instruments la voix singulière de Waldron, en reprenant à leur compte des éléments de son discours.
Blood And Guts est un disque de joie : la joie de jouer ensemble, la joie de faire émerger d’un bloc de rythme la source pure et fragile d’une mélodie, la joie d’arpenter les touches du piano comme on dévale un torrent, la joie de tout envoyer valser enfin.
Cette réédition est un événement et nous rappelle que Mal Waldron nous manque terriblement.