John Tchicai Trio
Truth Lies In-Between
Hôte Marge, 2010
Autour des mots du poète John Stewart, pour les dire et leur offrir la musique qui les incarnerait le plus fidèlement, John Tchicai réunit son trio et nous offre « Truth lies in Between », disque singulier et disque manifeste.
Tchicai et Stewart y proposent un éloge du doute et de la réflexion contre toutes les certitudes. April nous le suggère ainsi :
« Mieux vaut célébrer / L’inconnu / Un mystère/ Que de chanter / Les triomphes d’une nouvelle / Ou d’une ancienne histoire. / L’inconnu, lui / Dure toujours. »
Car la vérité ne peut pas être tirée d’une histoire décidément chaotique, et Katrina (Katrina Comes) ne fait aujourd’hui que prolonger l’éternelle injustice autre part évoquée dans Inscription for the 20th Century (dédiée à la mémoire des activistes pour les droits civiques et membres du Black Panthers Party John Huggins et Bunchy Carter). Alors, parce que la vérité est insaisissable et ment par intermittence (« Truth lies in-between », donc, nous confie Tchicai dans And Then), il va nous falloir la trouver en nous-mêmes :
« Il faut être le lieu saint que vous cherchez, et ne jamais oublier.» (Young Leaders)
L’art, ici la musique de John Tchicai et la poésie de John Stewart mêlées, est précieux parce qu’il ne nous livre pas un discours raisonné et tranché sur le monde mais qu’il en dévoilerait plutôt les mystères. Ces mystères c’est ce que le vieux sage Tchicai souhaite ici chanter (d’une voix qui semble charrier de lourdes terres foulées), non en un renoncement de l’aventure collective mais en une réaffirmation de notre responsabilité individuelle, et de notre nécessaire humilité devant la complexité et la diversité du monde.
Alors, la musique jouée ici d’être à l’avenant : exploration de tous les possibles et de tous les ailleurs. Gospel (Masks), rap (The Owl), techno (Masks toujours), samba (Opgenomen), jazz (At Last Ourselves) se télescopent et sont traversés par le grand courant des rythmes africains. Point de folklore ni d’exotisme chez Tchicai, mais la mise à nu de la multiplicité de nos racines et de notre insaisissable identité.
Très justement épaulé par la pianiste Margriet Naber et le poly-percussionniste Ernest Guiraud-Cissé, John Tchicai construit un bel et gracile équilibre entre textes et musique : courts morceaux scandés et longs morceaux instrumentaux se côtoient paisiblement sur ce disque profond et réussi.