The Roscoe Mitchell Art Ensemble – Congliptious

d_mitchellCongliptiousThe Roscoe Mitchell Art Ensemble
Congliptious
Nessa Records, 2009
Par Pierre Lemarchand

Philippe Carles compara un jour l’Art Ensemble of Chicago et son « instrumentarium » à un musée d’ethnomusicologie. Si alors nous arpentions les allées du musée de l’AEC, nous trouverions ce disque dans le pavillon dédié à sa préhistoire.

En effet, ce « Roscoe Mitchell Art Ensemble » est une première mouture de ce qui deviendra un an après (en 1969) l’Art Ensemble of Chicago. Ici, trois des cinq hommes de l’AEC sont en présence. Roscoe Mitchell, donc, accompagné de Lester Bowie et Malachi Favors. Quand il paraît en 1968 sur une galette de vinyle, ce disque se partage sur deux faces. Sur la première, les trois hommes offrent chacun une composition de leur cru, en solo. La deuxième face héberge une longue improvisation collective.

Ainsi, parce que Roscoe Mitchell conçoit son Ensemble comme la rencontre de personnalités singulières et comme l’alchimie résultant de cette rencontre, chacun se présente à l’auditeur, en un solo caractéristique de son propos et annonciateur de l’esprit qu’il insufflera dans le collectif qu’est l’Art Ensemble. C’est Malachi Favors qui débute, et son solo de contrebasse propose un musicien attaché à la tradition et gardien du rythme. Puis Roscoe Mitchell, seul au saxophone alto, en un beau moment d’abstraction, nous rappelle son plaisir à fouler des terres visitées habituellement dans la musique contemporaine. Enfin, le triptyque se referme avec le trompettiste Lester Bowie qui développe déjà un discours empli d’humour et d’extraversion et un indéniable art de la mise en scène.

Le long morceau qui occupe la deuxième face du disque plonge les trois hommes dans le grand chaudron de l’improvisation collective, accompagnés du batteur Robert Crowder. Malgré l’absence des deux compagnons qui les rejoindront un peu plus tard (Joseph Jarman et Don Moye), le son et l’esprit de l’Art Ensemble of Chicago sont déjà là : les « petits instruments » (introduits par Favors), la juxtaposition de séquences-climats plutôt que la cyclique apparition de chorus, les retours à des motifs mélodiques lumineux et des groove entraînants, pour ensuite mieux replonger dans des atmosphères méditatives ou exacerbées… Oui, tout est déjà là !

C’est donc un véritable document que nous avons ici, en même temps, rappelons-le !- qu’un superbe disque, conceptuel et charnel, traversé par une joie de jouer qui ne faillit jamais. Comme l’écrivait Terry Martin en Juin 1968, à la sortie du disque : « Vous entendrez beaucoup de choses dans cette musique : sobriété classique et fête dionysiaque, recueillement et tristesse en même temps que cynisme et joie (…) ».

Enfin, cette réédition CD nous offre deux morceaux inédits, courts, collectifs et énergiques, joués lors de cette même session, qui apparaissent comme une proposition de chaînon manquant et éclairant entre les musiques présentées sur chacune des originelles faces.

The Roscoe Mitchell Art Ensemble: Congliptious (Nessa Records)

Enregistrement: 1968. Edition: 2009.

CD: 01/ Tutankhamen 02/ TKHKE 03/ Jazz Death ? 04/ Carefree-take 3 05/ Tatas-Matoes 06/Congliptious / Old 07/ Carefree-take 1 08/ Carefree-take 2

Roscoe Mitchell: saxophones alto, soprano et basse ; flute ; gong ; petit instruments

Lester Bowie: trompette ; bugle ; percussions ; sirène ; gong ; petit instruments

Malachi Favors: contrebasse ; basse électrique ; gong ; petit instruments

Robert Crowder : batterie ; gong

Interview de Didier Lasserre

itw_didier-lasserreLa liste est longue des partenaires en compagnie desquels Didier Lasserre a déjà attesté de son bel art percussif (de Daunik Lazro à Jean-Luc Guionnet en passant par Abdelhaï Bennani ou Seijiro Murayama). Ces derniers temps, le batteur se montrait deux fois à la hauteur du bien que l’on pense de lui : en membre de Snus sur et puis de Free Unfold sur Ballades. Assez, donc, pour le passer à la question…

JAP >>> « Il y a quelques mois sortait sur le label Ayler Records « Ballades » de Free Unfold Trio. Pourriez vous évoquez la genèse, et l’enregistrement de ce disque?  »

DL >>> Après un premier disque enregistré en 2006 pour le label Amor fati, et quelques (très rares) concerts, le désir s’est fait sentir de continuer à avancer avec ce trio, et, pour Benjamin, en allant vers un approfondissement vers plus d’air, vers une musique plus « simple », sans précipitations, en laissant la musique arriver, tranquillement.

Rendez-vous fut donc pris chez Gaël Mevel et Caroline Lagouge, à la campagne, où un beau piano et une pièce pleine de silence (et aussi quelques oiseaux) nous attendaient. Nous avons enregistré ce que nous avions à dire, dans cette direction, sans chercher toutefois à « forcer » les silences, à se contenir par trop. Puis après ré-écoute, Benjamin, qui dés le départ voulait faire un disque (vinyle), fut très très enthousiaste, et après sélection, 28 minutes furent choisies. Le titre « Ballades » s’imposa tout seul. Une souscription fut lancée, à laquelle pas mal de personnes ont répondu, puis Stéphane Berland, le directeur d’Ayler records, après écoute chez Benjamin, décida également de produire le disque sous forme CD. Son ami Bernard Minier prit une photo du trio dans un jardin parisien, pour un clin d’oeil, sans prétention, à Blue Note et au trio d’Ornette Coleman. Fabrice Fuentes nous écrit les notes de pochette : depuis le début donc, beaucoup d’aide, de soutien, de compréhension, d’amitié avec cet enregistrement, nous somme très chanceux, merci à eux tous.

Le disque est donc sorti sous sa forme CD en décembre 2009, le vinyle, du fait de soucis techniques, a pris du retard, mais il doit arriver sous peu. Voilà. Somme toute, une belle aventure. J’en remercie encore chaleureusement mes deux compagnons de musique.

JAP >>> « Ballads est donc sorti sur Ayler Records, un label important pour vous car y sortirent également en 2009 trois autres disques sur les quels vous figurez. D’abord, le trio avec Benjamin Duboc et Abdelhaï Bennani « In Side », puis « Symphony for Old and New Dimensions » du groupe Nuts, et enfin « Snus » avec Joel Grip et Niklas Barno. Comment voyez- vous aujourd’hui la place du disque dans le monde de la musique, et plus particulièrement du free jazz et des musiques improvisées? Le disque compte beaucoup pour vous? »

DL >>> Pour des musiciens comme moi et malheureusement comme pour beaucoup d’autres, le disque, comme me le disait Benjamin Bondonneau, clarinettiste et ami, est presque le seul moyen de se faire entendre, vu les occasions peu nombreuses qui nous sont données de jouer. Le disque peut donc être un beau moyen d’exister, de faire vivre un projet, de lui donner vie parfois, de le « fixer » et le faire circuler. Et bien sûr, en tant que document « historique », et parfois bel objet, le disque a pu changer, sans exagérer, le cours de ma vie.

Je pense à certains disques d’Ayler, de Coltrane, de Jimmy Lyons, et tant d’autres. Alors, bien modestement, on est content d’amener sa toute petite pierre, rien de plus. Je pense toutefois souvent à ce que disais Jimmy Lyons justement, un de mes musiciens préféré : « Nous devrions être conscients du fait qu’il y a trop de disques, trop de répétitions… Toujours les mêmes disques (…) Tout le monde peut enregistrer, et cela peut être très dangereux. » Parfois je me dis que j’aurais mieux fait d’y penser un peu plus, à cette dernière phrase ! Mais bon, je n’ai pas de regrets pour l’instant, il y a des choses que je n’aime pas dans chaque disque que j’ai enregistré, mais des choses que j’aime aussi, et je sais que certains disques ont compté pour quelques personnes, alors ce n’est pas perdu. Est-ce suffisant ? Je ne sais pas…

On dit parfois qu’un disque est comme une photographie, plus ou moins retouchée : je dirai juste que l’on essaie que la photo soit bonne ; mais qu’est-ce qu’une bonne photo ? Encore quelque chose que je ne sais pas. En tous cas, il est vrai que certains labels, ou plus exactement les personnes qui les font vivre, ont été et sont toujours très importantes pour rendre compte de ce que j’essaye de dire, de ce que nous essayons de dire, comme Amor fati bien sûr et en premier lieu, et aussi maintenant Ayler records.

JAP >>> « Vous évoquez les influences majeures que semblent avoir été Jimmy Lyons, John Coltrane et Albert Ayler… Et du coté des batteurs, quelles musiciens pour vous influents citeriez-vous? »

DL >>> Le premier qui m’a touché était Kenny Clarke, le son qu’il avait aux balais… Puis Max Roach, capable seul de créer une véritable musique, une vraie poésie. Que j’ai retrouvé ensuite chez Elvin Jones, les mailloches de « The drum thing » avec Coltrane & Garrison, cela m’a ému au plus haut point. De même que le Rashied Ali d’ « Intersteller space », quelque chose qui allait au delà de l’instrument, que l’on finissait par oublier. Puis Sunny Murray, celui de « Spiritual Unity », de « Witches & Devils » et « Jump Up », c’était tout simplement « autre chose » qui se passait, musicalement, socialement. Je me disais en écoutant ça, que tout restait possible. Mais beaucoup d’autres ont compté, le jeune Tony Williams, Laurence Cook (un grand oublié) Louis Moholo (un concert à New York avec Oliver Lake où tout était suggéré, doucement, mais avec une grande force) Paul Lytton (une des plus belles choses que j’ai entendu en direct), Paul Motian, Ed Blackwell, Sam Woodyard, Tom Price, Tony Oxley, Seijiro Murayama, Makoto Sato, (j’adore quand il joue doucement aux balais & mailloches)… Et puis la percussion et la musique traditionnelle coréenne, japonaise, tibétaine. Et puis le silence, et les sons de la nature.

JAP >>> « La découverte de la batterie, l’envie d’en jouer, comment tout ça est venu? »

DL >>> Au départ, la batterie était un moyen pour moi d’échapper à l’ennui, à l’ennui social. J’avais 16 ans. C’était un instrument à ma portée, moi qui ne savait rien de la musique, cela me semblait moins difficile que le reste (j’avais tort !) Puis en découvrant le jazz & le free, je me suis dit qu’il fallait que j’essaye, moi aussi, modestement, de trouver cet « autre chose » à vivre, de repousser un peu les contraintes sociales, auxquelles on n’échappe malheureusement pas. Tous ces grands musiciens écoutés jour après jour me confortaient dans l’idée que l’on pouvait être soi-même, et s’y tenir, même si tout était fait pour être découragé, et lâcher prise. On s’engage alors sur une route, longue, parfois difficile (sans se plaindre, c’est une chance inouïe que de pouvoir jouer) mais belle, je l’espère tout du moins pour ceux et celles qui écoutent !

JAP >>> « Nous avons évoqué quelques uns de vos projets collectifs… Mais ce qui caractérise votre démarche, et le rapport que vous entretenez à la batterie, c’est aussi d’une part l’exercice en solo, et d’autre part, les passerelles lancées avec la peinture, la poésie, la danse, le super8, la sculpture, la photographie…. »

DL >>> Le solo, en tant qu’auditeur de musique, a toujours été pour moi une situation très touchante : un être humain et son instrument… J’ai des souvenirs très forts de solos, notamment à New York en 2001, Malachi Favors à la contrebasse. J’ai toujours eu l’impression que c’est à cette occasion que l’on entend un musicien être le plus lui-même. Comme l’écrivait Robert Motherwell, peintre, « c’est le travail effectué dans un mode d’expression particulier par une personne qui a vécu une expérience »… J’aime bien cette phrase. Mais bien sûr c’est très risqué aussi, on n’a certes pas la « contrainte » du chemin de l’autre, mais on n’a pas son aide, sa générosité, tout ce qui peut faire la beauté d’un travail collectif… Seul, c’est aussi l’occasion, douloureuse parfois, de se dire : qu’est-ce que j’ai à dire ? Mais des auditeurs sont là parfois, ils donnent de l’énergie, le lieu où l’on joue aussi, et son propre instrument, qu’il faut certainement laisser nous « nourrir ». En tous cas il y a deux ans il a fallu que je mette ça dans un disque, après pas mal d’essais, de recherches, de difficultés. Il y avait une forme qui revenait, donnée je crois par les caractéristiques sonores de l’instrument lui-même, il y avait des choses que je ne pouvais m’empêcher de jouer, il a fallu les fixer pour pouvoir les dépasser. Aujourd’hui je continue, dans une forme qui se précise de plus en plus, comme si elle s’imposait à moi : je la laisse donc venir.

Quant aux passerelles avec les autres arts, c’est bien sûr nourrissant, même si les occasions de travail véritable sont rares. Chaque discipline a sa « matière propre » et l’équilibre est difficile à trouver avec la musique, il faut transformer ça en une matière commune… Certaines images de Tarkovski m’ont beaucoup aidé, certains poèmes aussi, comme ceux de Tristan Tzara pour ce disque enregistré seul. Travailler régulièrement avec Ly Thanh Tiên dans le domaine de la danse (sur les écrits d’Antonin Artaud) et le travail avec les films super 8 d’Hélène Paulais également (j’espère qu’un jour on découvrira enfin son travail, magnifique). D’une manière générale je recherche la poésie même si je sais bien que c’est un terme assez général et que tout le monde met ce qu’il veut là-dedans.

JAP >>> « A quelqu’un qui ne connaîtrait pas votre musique, et qui vous demanderait de la décrire, que lui répondriez vous?  »

DL >>> Je dirais simplement que ma musique, et ma façon de jouer, vise à une certaine poésie, à un rapport poétique au monde, et à mon instrument aussi (qui n’est pas considéré par beaucoup comme un instrument capable de générer ce type de rapport).
Je dirais aussi que, même venant du free-jazz (et je reconnais bien modestement tout ce que je dois à ce courant musical) ma musique tente d’être tout simplement ce que je suis, et j’essaye, à travers elle, de vivre « autre chose ». Et comme le disais Robert Motherwell que je cite ici à nouveau, « j’accorde de la valeur à la chaleur humaine », je veux dire aussi par là que ce que je joue, je l’espère, pourrait être entendu par n’importe qui, n’importe qui qui veuille s’en donner la peine.

Free Unfold Trio – Ballades

d_balladesFree Unfold Trio
Ballades
Ayler Records, 2009.
Par Pierre Lemarchand

Ici, c’est l’air que l’on joue. La nature, et ses quatre éléments, ont beaucoup été célébrés dans le (free) jazz, avec comme acmé l’art développé par le regretté Revolutionary Ensemble. Car alors, et toujours aujourd’hui, la référence à la nature, comme beauté née du miracle et du hasard, semble proposer une alternative à un jazz trop préoccupé de ses codes et sclérosé à force d’y souscrire.

L’air est, des quatre éléments naturels, celui qui anime ce disque. Mais ici, pas de tempête, ni de vent fort, mais plutôt un souffle léger, une brise qui parcourt le disque de bout en bout, du premier au dernier mouvement de cymbale, une brise discrète, oui, de celles qui font tournoyer les plumes, voleter les poussières, onduler les herbes, frémir les cours d’eau. Les instruments sont ainsi joués, comme effleurés par accident ; l’air semble choquer l’un d’eux, le faire résonner, et ainsi entraîner le chant des deux autres.

Car entre les trois musiciens (Didier Lasserre à la batterie, Benjamin Duboc à la contrebasse et Jobic Le Masson au piano), un courant (d’air) passe. Ils se font passeurs d’une voix naturelle qui donne à la musique le double caractère de l’aléa et de la nécessité.

La pochette du disque est un clin d’œil à un album d’Ornette Coleman (père d’une rencontre historique entre jazz et liberté), témoignage d’un concert donné à Stockholm en 1965 et intitulé Live at Golden Circle. Sur les deux pochettes, on retrouve trois hommes, regardant dans trois directions différentes, mais serrés les uns contre les autres dans un décor naturel avec en arrière fond des arbres. Mais si chez Coleman l’impression visée était celle de l’exotisme et du décalage, la photo utilisée pour ce disque du Unfold Trio corrobore au contraire son propos, va dans le sens de la musique : trois hommes en pleine nature, qui semblent surgir d’elle tels les arbres, le soleil et l’herbe, et tel le vent que l’on devine.

Revenons au Revolutionary Ensemble et à son contrebassiste Sirone, qui écrivait : « Je ressens que nous, le Revolutionary Ensemble, sommes les interprètes de la Musique de la Nature. Nous pensons que chaque chose sur Terre contribue à son harmonie. Les arbres balancent joyeusement leurs branches en rythme avec le vent. Le son de la mer, le murmure de l’air, le sifflement du vent qui s’engouffre entre les rochers, les collines et les montagnes. Et le fracas du tonnerre et les éclairs, l’harmonie entre le Soleil et la Lune, le mouvement des étoiles et des planètes, l’éclosion des fleurs, la tombée des feuilles, l’alternance régulière du matin, du midi, du soir et de la nuit ! Tout révèle au voyant et à l’auditeur la musique de la nature. »

Trois mois après l’enregistrement de Ballads s’éteignait Sirone, dont le dernier souffle a certainement cheminé pour venir planer sur cette très belle session.

Free Unfold Trio: Ballades (Ayler Records)

Enregistrement: 2009. Edition: 2009.

CD: 1-2/ Au depart les oiseaux puis 3-4/ Seulement l’air

Jobic Le Masson – Piano

Didier Lasserre – Batterie

Benjamin Duboc – Contrebasse

Jacob Anderskov – Agnostic Revelations

d_agnostic-revelationsJacob Anderskov
Agnostic Revelations
ILK, 2010
Par Pierre Lemarchand

A l’écoute de ce disque, on a envie de s’emporter, de le louer avec emphase, mais l’emphase est certainement le qualificatif qui sied le moins à ce disque. Pour s’inspirer du titre de l’album, on pourrait dire que la révélation ne naît ici pas de la certitude, mais au contraire du doute. Les musiciens semblent vouloir jouer l’ombre que projettent les mélodies plutôt que leur évidente lumière, l’envers de la partition ou du moins sa partie cachée.

On entend ici une musique de réserve, donc, d’humilité, de mystère, de tâtonnements, de hasards. Une musique du flottement, des possibles, des directions brouillées dans lesquelles est remarquable la concentration avec laquelle les musiciens s’écoutent pour faire progresser la musique par petites touches (« Warren street setup », « Dream arch »).

Jacob Anderskov, pianiste danois, a du beaucoup rêver cette musique avant de proposer à ses trois compagnons américains de l’incarner enfin. Chris Speed, à la clarinette et au saxophone, est impressionnant, d’un bout à l’autre de ce disque, de retenue, d’intériorité serait-on tenté de dire, et le son ample et étale qui le caractérise est ici beau comme jamais (« Be flat and stay flat »). La section rythmique n’est pas en reste. Tout ce que jouent Gerald Cleaver (batterie) et Michael Formanek (contrebasse) est pertinent : il faut les écouter sur l’intro de « Diamonds are for unreal people », relancer la machine, être partout à la fois, sans jamais s’imposer inutilement.

La prise de son et la production, supervisées par le pianiste lui-même, sont superbes et concourent à donner à ce disque son unité : pas de brillance mais une matité qui confère à l’ensemble une certaine aura, telle les lointaines lumières que l’on devine à travers un trop épais brouillard.
Jacob Anderskov: Agnostic Revelations (ILK)

Enregistrement: 2009. Edition: 2010.

CD : 01/ Warren street setup 02/ Be flat and stay flat 03/ Pintxos for Varese 04/ Blue in the face 05/ Diamonds are for unreal people 06/ Solstice 2009 07/ Neuf 08/ Dream arch

Chris Speed – saxophone, clarinette

Jacob Anderskov – piano

Michael Formanek – contrebasse

Gerald Cleaver – batterie

Marty Ehrlich Rites Quartet – Things Have Got To Change

d_thingshaveMarty Ehrlich Rites Quartet
Things Have Got To Change
Clean Feed, 2009.
Par Pierre Lemarchand

« Things have got to change » : les mots s’imposent en grand sur la pochette de ce disque et apparaissent alors en filigrane les titres-manifestes du premier orchestre d’Ornette Coleman (tels « Change of the century » ou encore « Something else ! »). D’Ornette, plutôt que le changement radical, on entendra l’urgence du propos. D’Ornette toujours, on pourra retenir ici la proposition d’un quartet sans piano, insufflé par une trompette et un saxophone alto qui, en des passages de relais enjoués, projettent dans l’espace des mélodies tantôt urgentes (Song For Tomorrow), tantôt fragiles (Some Kind Of Prayer, pièce maîtresse du disque), toujours dansantes.

Est convié ici Erik Friedlander qui, avec Daniel Levin, impose le violoncelle dans le jazz d’aujourd’hui (comme hier Doug Watkins l’avait fait) pour son chant si particulier. Il peut se faire guimbri comme les percussions de Pheeroan Aklaff se font crotales, en une résurgence gnawa (Rites Rhythms) comme il peut, à la manière de la contrebasse, assurer une pulsation rythmique sans faille dans le très hard bop Dung.

Ce « Rites Quartet » est emmené par le saxophoniste Marty Ehrlich qui y convoque des complices de longue date (de très longue date, même, pour Aklaff, dont la collaboration avec Ehrlich remonte à la fin des années 70) avec qui il a joué dans différentes de ses formations. Marty Ehrlich joua avec Erik Friedlander dans son Dark Wood Ensemble et avec le trompettiste James Zollar dans son sextet News on the Rail et dans son grand orchestre the Long View.

Mais jamais les quatre musiciens n’avaient joué tous ensemble. Ce n’est que récemment, pour ré explorer des compositions de Julius Hemphill, qu’ils se sont rassemblés. C’est donc naturellement qu’aux cinq compositions de Marty Ehrlich s’ajoutent trois reprises de thèmes de Hemphill. Ce dernier, né dans la même ville qu’Ornette (Fort Worth au Texas) fut le véritable mentor d’Ehrlich. Ce dernier fit partie du dernier sextet de Julius Hemphill et continua d’y jouer la musique du texan quand celui-ci, trop malade, ne pouvait plus souffler dans son saxophone, et jusqu’après la mort d’Hemphill en 1995.

La mémoire, donc, l’héritage et la fidélité sont dans cette musique fortement présents et nourrissent les voix originales des quatre hommes qui nous livrent un disque aussi sincère qu’attachant.
Marty Ehrlich Rites Quartet: Things Have Got To Change (Clean Feed / Orkêstra International)

Enregistrement: 2008. Edition: 2009.

CD: 01/ Rites Rythms 02/ Dung 03/ Some Kind Of Prayer 04/ On The One 05/ Slices Of Light 06/Song For Tomorrow 07/ From Strenght To Strenght 08/ Dogon A.D.

Marty Ehrlich: Alto saxophone

James Zollar: Trompette

Erik Friedlander: Violoncelle

Pheeroan Aklaff: Batterie, percussions

Dennis Gonzalez Connecticut Quartet – Songs of Early Autumn

d_songsautumnDennis Gonzalez Connecticut Quartet
Songs of Early Autumn
NoBusiness Records, 2009

Lorsque sur l’invitation de son ami Joe Morris, Dennis Gonzalez se rend dans le Connecticut, l’automne imprime aux paysages de la Nouvelle Angleterre ses couleurs et sa lumière si particulières. Arrivé à Guilford, au domicile de Joe, la neige se met à tomber et la température a sérieusement baissé. Dennis Gonzalez et Joe Morris avaient déjà joué ensemble quelques mois plus tôt, au cœur de l’été, pour la session No Photograph Avaible, éditée par la compagnie Clean Feed Records, et c’est naturellement qu’ils se retrouvent alors pour prolonger leur collaboration musicale. Aux côtés de Joe Morris, guitariste mais jouant ici de la contrebasse : Timo Shanko, contrebassiste mais soufflant ici dans un saxophone et Luther Gray, batteur… jouant de la batterie !

Le nez froid, les doigts gourds, les hommes attaquent alors la session et tout se suite, la musique déployée se pare de chaudes couleurs, d’une joie partagée de défier les intempéries.

Si l’on devait lui offrir une filiation, on évoquerait le Old and New Dreams. Parce que le groove y est véloce et heureux (Loft). Mais aussi pour les mélodies enfantines déployées par Dennis Gonzalez qui se faufilent entre les fantômes d’une rythmique troublante (Acceleration). Enfin, pour la contrebasse élastique, sautillante, comme dansant sur une batterie qui fait la part belle aux toms et se connecte ainsi au pouls des percussions africaines (Bush Medicine). On pense aussi beaucoup à Albert Ayler ici, pour la pratique d’un free jazz tantôt emporté (In Tallation), tantôt méditatif (Lamentation).

On pense, finalement, au cycle des saisons, à cet éternel retour mais aux couleurs changeantes, à ce continuum qu’est la musique inventée par les africains américains au 20ème siècle, qu’on appelle jazz, et dont nous est livré ici un exemple incroyablement vivant.

Dennis Gonzalez Connecticut Quartet: Songs of Early Autumn (NoBusiness Records)

Edition: 2009.

CD: 1/ Loft 2/ Acceleration 3/ Bush Medicine 4/ Idolo 5/ In Tallation 6/ Lamentation 7/ Those Who Came Before 8/ Loyalty

Dennis Gonzalez: trompette

Joe Morris: contrebasse

Timo Shanko: saxophone tenor

Luther Gray: batterie

Interview de Dennis Gonzalez

itw_dennis-gonzalezTrompettiste installé à Dallas, Dennis Gonzalez voit cette année paraître une poignée d’enregistrements qui célèbrent son association avec quelques figures de taille (Reggie Workman sur A Matter of Blood, Frank Lowe sur un Live enregistré par son Band of Sorcerers en 1989 ou Joe Morris sur Songs of Early Autumn) ou sa complicité avec ses deux fils (à entendre sur The Great Bydgoszcz Concert), auxquels il doit, voici une dizaine d’années, d’avoir renoué avec la musique…

JAP >>> « Vous avez sorti, en cette année 2009, deux grands disques très inspirés. Tout d’abord « A Matter of blood » en 4tet, assez sombre et énigmatique, et « Scape Grace » en duo, plus lumineux. Je pense sincèrement que nous parlerons encore de ces deux disques dans de nombreuses années.
Pensez-vous vivre une étape particulière dans votre carrière de musicien, ou n’est ce qu’une suite naturelle de votre parcours commencé il y a 30 ans maintenant? »

DG >>> La réponse est là entre les deux suggestions…
Sans compter les deux disques que vous mentionnez, j’ai sorti d’autres disques cette année…c’est mon année la plus productive, la plus fertile de toute ma carrière, même en prenant en compte les « années Silkheart». La nouvelle compagnie lithuanienne, No Business Records, a sorti « Songs of Early Autumn », mon disque avec le grand guitariste Joe Morris (qui joue ici de la contrebasse). Mes fils et moi-même (notre groupe Yells At Eels) – avec le saxophoniste portugais Rodrigo Amado – avons sorti un nouvel enregistrement en concert en Pologne nommé « The Great Bydgoszcz Concert » sur le label français Ayler Records. Et enfin, Qbico Records a sorti le LP/CD « Hymn for Tomasz Stańko » dans lequel je mène un groupe avec le saxophoniste légendaire de Detroit Faruq Z. Bey, l’ancien leader de Griot Galaxy.

Je vous remercie pour les mots au sujet des deux disques mentionnés, et j’espère vraiment qu’on parlera encore dans plusieurs années de ces deux disques. C’est difficile dans la vie d’un musicien de jazz quand on est oublié, c’est pourquoi je prie pour que « Blood » et « Scape Grace » m’aident à pénétrer les esprits et les oreilles des amateurs de jazz partout dans le monde.

Pour finir de répondre à votre question, je pense que depuis 2004, ces cinq dernières années ont été une nouvelle étape de créativité pour ma musique. J’ai commencé ma carrière à la fin des années 70, et j’ai vécu plusieurs étapes – différentes directions, des hauts et des bas – tout au long de ces trente années. Mais au final, je pense qu’il y a une cohérence dans mon travail, malgré tous les styles et tous mes groupes… On m’a souvent dit qu’on pouvait reconnaître mon son sur chacun des disques que j’ai enregistrés, avec des musiciens connus comme inconnus… Cela ne cesse de m’étonner !

JAP>>> Parlons un peu de Matter of Blood » si vous voulez bien. Il y a dans ce disque une sonorité formidable, ample et mystérieuse, due à l’alchimie entre les 4 musiciens, qui semblent tous au meilleur de leur créativité. Pouvez-vous nous parler de ce disque, et des musiciens qui y jouent? »

DG >>> Évidemment, le musicien le plus important et le plus connu sur la session est le contrebassiste légendaire de John Coltrane, et un des plus doués techniquement de tous les bassistes de jazz – un joueur brillant dans le hard bop et dans l’avant-garde – Reggie Workman, qui a maintenant 76 ans. J’ai fait sa connaissance il y a 28 ans en Finlande, lors du Festival Pori, où il jouait avec le batteur maintenant décédé, Edward Vesala. Puis nous nous sommes à nouveau rencontrés pendant le Festival de Jazz de Ljubljana, où il menait des workshops et des performances avec sa femme Maja, la grande danseuse moderne yougoslave. On avons un peu discuté, de rien en particulier, puis nous nous sommes promis de faire de la musique ensemble “un de ces jours”. J’attendais patiemment depuis que le bon moment se présente pour que nous puissions collaborer idéalement…quand Marty Monroe, de Furthermore Recordings, m’a encouragé à ne pas laisser filer le temps. Avec l’aide de mon ami Oliver Lake et grâce à Mr Workman lui-même, nous avons enregistré à Brooklyn le 30 décembre de l’an passé.

Je vraiment été très surpris de la fluidité et du naturel avec lesquels son jeu de contrebasse s’est intégré à ma musique. Je n’ai pas assez de mots pour décrire ce qu’il a accompli sur cet enregistrement, pour évoquer la tendresse et les cris de son instrument. Il faut vraiment l’écouter sur se disque !

J’ai joué à New York au Tonic avec Ellery Eskelin et Mark Helias en 2003, et le batteur Gerald Cleaver aurait du nous accompagner, mais comme Cleaver n’était pas là à l’heure, nous l’avons remplacé par Michael T.A. Thompson. Ce concert sorti sur le label Clean Feed sous le nom de « Dance of the Soothsayer’s Tongue ». Thompson possède un sens quasi-psychique sur la batterie…il est excellent, c’est un des mes batteurs préférés de la scène new-yorkaise. Nous sommes également de bons amis !

Et maintenant, quelques mots concernant le pianiste. En 1983, la compagnie de disques Nimbus m’a envoyé un CD avec un jeune pianiste de Los Angeles, Curtis Clark. Il jouait sur ce disque avec le sud-africain Louis Moholo (avec qui j’allais faire un disque en 1985) et aussi avec le saxophoniste anglais Andy Sheppard. Le disque s’appelait « Live at the Bimhuis ». J’ai trouvé la musique fraîche et pleine de swing, avec des moments totalement fous et free. Dès ce moment là, j’ai décidé que je jouerais avec Curtis dans l’avenir. Mais il a habité à Amsterdam pendant vingt ans, et ce n’est que récemment qu’il est revenu en Amérique, pour des raisons qui me sont inconnues. Ce disque a été pour moi la chance de jouer avec un pianiste extraordinaire.

JAP >>> « Revenons bien en arrière… Qu’est ce qui vous a donné envie de jouer de la musique? Pouvez vous nous expliquer quel chemin vous a mené jusqu’à l’apprentissage de la trompette, et jusqu’au jazz? »

DG >>> Je joue de la trompette depuis l’âge de 10 ans, et mon rapport à la trompette a vraiment changé au cours des 45 années. Quand j’ai commencé la première fois à jouer, c’était parce que je me suis rendu compte que dans l’orchestre de l’école, la trompette était habituellement l’instrument solo. J’ai été timide toute ma vie, et je me disais que c’était une manière d’attirer l’attention sans trop en faire. J’ai vite aimé la puissance du son de l’instrument… et puis c’était mon premier jouet de valeur ! À la maison, le jazz qu’on écoutait était celui de l’ère swing, période qu’affectionnait beaucoup mon père. Je préférais alors les disques de Stan Kenton, parce qu’il était très expérimental pour cette période.

Avant 1969, je ne me rendais pas du tout compte du poids historique de la trompette dans le jazz, jusqu’à ce qu’un des leaders de l’orchestre remarque une tendance dans mon jeu à la « décomposition » lors des concerts du groupe et m’offre un album de Sam Rivers sur Blue Note, « Contours », avec Freddie Hubbard à la trompette. La musique était si inhabituelle et « out » ! C’était exactement de ce dont j’avais besoin pour m’ouvrir sur une pratique plus moderne de la trompette et pour que je continue à avoir envie de jouer en concert.

J’ai été élevé dans l’église baptiste, ce qui est peu commun pour un américain d’origine mexicaine, et la musique jouée dans les églises puise beaucoup dans le chant religieux des noirs, dans les hymnes écrits par les gens du sud des États-Unis qui ont été influencés eux-mêmes par la musique des Afro-Américains. Ces chansons et ces hymnes sont profondément ancrés dans mon coeur et dans mon esprit. Ainsi quand j’ai commencé à jouer du jazz (je jouais au tout début plutôt du rock-and-roll), ces chansons religieuses ont naturellement commencé à transparaître dans ma musique. C’est en partie pour cette raison que je me réclame de la musique afro-américaine…

Quand je commençais à jouer le jazz, dans le 70s, les mouvements tels que « Black Power » et « Black is Beautiful » étaient déjà bien présents, et les jazzmen afro-américains qui jouaient « free » ne jouaient que très rarement avec des musiciens blancs, mais je pense qu’ils ont compris que ma condition d’hispano-américain, de « latino », me faisait vivre les mêmes difficultés que les leurs, que mon peuple souffrait comme souffrait le peuple noir. Car nos deux peuples combattaient alors également pour être mieux entendus et reconnus, ont été tous deux impliqués dans la lutte pour les droits civiques. Ils m’ont donc vu comme un de leurs « frères », pas en couleur de peau, mais dans l’esprit. Ainsi quand j’ai commencé d’enregistrer pour des labels internationaux et plus réputés, j’ai de plus en plus joué dans des groupes “noirs” : ceux de John Purcell, Malachi Favors, Ahmed Abdullah, Charles Brackeen, Max Roach, Cecil Taylor, « Kidd » Jordan, Alvin Fielser, Roy Hargrove, Louis Moholo, et beaucoup d’autres… Mais en même temps que je pénétrais plus avant les cercles de la grande musique noire, je continuais de jouer avec des musiciens européens.

JAP >>> Cette proximité avec la Great Black Music, on peut la retrouver dans la fondation de la Daagnim (Dallas Association for Avant Garde and Neo Impressionistic Music), qui pourrait être pour la scène musicale de Dallas l’équivalant de l’AACM à Chicago ou la Jazz Composer’s Guild Association fondée par Bill Dixon à New York. Pouvez vous nous parler de la Daagnim ?

DG >>> Quand je me suis installé à Dallas, j’ai vite compris que les musiciens de jazz y pratiquent le système traditionnel du « paying your dues », c’est à dire que vous devez aller vous présenter en personne aux musiciens plus âgés et leur demander s’ils sont d’accords pour que vous jouiez avec eux en deuxième partie de soirée. Alors, vous prenez votre instrument et priez le musicien principal de vous laisser jouer sur la scène après qu’il vous ait entendu… vous savez, le vieux système de « paying your dues ». Je n’ai pas voulu faire cela. Je n’ai pas voulu prendre le temps, et de toute façon je n’aimais pas la musique qu’ils faisaient. Je veux dire, j’aime les standards, mais je ne ressentais pas l’envie de jouer ces standards à ce moment-là. Je composais déjà ma propre musique. En outre, la musique que j’entendais dans ma tête était très différente de ce que ces musiciens-là jouaient. Et puis je me suis aperçu qu’il existait d’autres musiciens, qui n’étaient pas fous – comme j’avais pensé que je l’étais – et qui jouaient un jazz « straight-ahead » comme le mien. Et nous avons commencé, d’une manière ou d’une autre, à nous trouver. J’ai toujours gardé mes oreilles grandes ouvertes !

De plus, j’ai animé une émission de jazz où je passais beaucoup cette nouvelle musique, et les gens m’appelleraient pour me dire : « Ouah, vous connaissez la musique de l’Art Ensemble ? Vous savez qui est Julius Hemphill ? ». Quand je passais la musique de ECM, les gens étaient étonnés de l’entendre programmée à la radio. Là aussi, peu à peu, nous avons commencé à nous rendre visite et à discuter.

Nous avons commencé à jouer, composer et travailler ensemble, sans vrai but ou direction précise. Je pense que nous attendions “le grand moment”, et ce grand moment est arrivé en 1979. J’étais en Californie avec mon frère et j’ai décidé de téléphoner au pianiste Art Lande. Il était très aimable, très gentil, et m’a dit : « Venez parler avec moi. » Ainsi a débuté une relation de 4 ou 5 ans. Un jour, il a fait le déplacement jusqu’ici à Dallas pour faire un gig solo de piano pendant trois nuits dans un club du centre ville. Le patron du club n’a rien payé à Mr. Lande, alors j’ai décidé de le payer avec mon propre argent, ce que Lande a apprécié. Pendant ces trois jours, Lande avait aussi animé un grand workshop pour les musiciens de Daagnim, pendant lequel il nous avait dit avec force : « Je vais vous montrer comment monter une petite association. Car tout le monde aujourd’hui essaie de faire la même chose pour survivre musicalement : l’AACM, les personnes de BAG… Vous savez, Houston a également un collectif, Minneapolis/St. Paul aussi, même Atlanta a un collectif. » C’est ainsi que Daagnim a commencé. Pendant 6 ou 7 ans nous avons beaucoup travaillé, et c’est moi qui dirigeais le collectif.

Mais les années passaient et j’étais le seul qui travaillait pour l’association, qui organisait des concerts et des enregistrements. J’ai sorti 25 disques sur le label Daagnim Records. Ce qui me fait le plus rire, c’est que ces types, alors qu’ils étaient mes amis et associés, ne m’ont jamais proposé de mener ensemble un projet, ni proposé de m’aider quand par exemple Anthony Braxton était venu chez moi pour animer un workshop. Cela ne les intéressait pas de m’aider. Alors, après un moment, j’ai juste sorti mes propres disques, j’ai cessé de m’occuper des autres, et me suis concentré sur ma propre musique. Et c’est à ce moment-là que ma carrière a marché. C’est aussi à ce moment-là j’ai rencontré le saxophoniste John Purcell. Et puis j’ai rencontré DeJohnette, qui a été très aimable avec moi, très gentil. Le momentum était arrivé, et je rencontrais de plus en plus de personnes qui comptaient dans le nouveau jazz.

Certains de ces types du collectif qui comptaient sur moi ont été très blessés quand j’ai décidé de privilégier ma propre carrière et que je les ai laissés seuls. Je ne regrette pas ma décision parce qu’elle a influé de manière positive sur ma vie et ma musique. Et l’effet positif que Daagnim a eu sur moi personnellement et sur ma musique, c’est que nous avons joué beaucoup de musique créative ! Nous avions un forum sur lequel nous essayions nos nouvelles compositions et nos nouvelles idées quasi quotidiennement. C’est grâce à Daagnim que nous avons pu faire notre propre musique !

JAP >>> Lesquels de vos disques conseilleriez vous à quelqu’un qui voudrait découvrir votre musique ? Autrement dit, de quels disques, ou de quelles collaborations, êtes vous plus particulièrement fier, ou vous souvenez vous avec bonheur?

DG >>> C’est difficile pour moi de choisir quelques uns de mes disques qui seraient mes préférés, ou de suggérer à quelqu’un où il devrait commencer à écouter ma musique…car j’aime beaucoup toute ma musique, tous mes disques. Je viens de recevoir aujourd’hui une chronique d’un de mes nouveaux disques, et le critique y écrit : « Il s’investit dans chaque session et chaque concert avec la même intégrité. Je tends à penser que tout ce que Dennis Gonzalez fait, il le fait pour laisser une trace. » Vous voyez, je suis heureux de lire qu’une personne estime que je mets tout que j’ai dans chaque session.

Cependant, je vais choisir quelques uns de mes disques, comme vous me le demandez ! Je pense que les quatre choix principaux pour quelqu’un qui pourrait vouloir commencer à écouter ce que je fais sont :

1) «Catechism» – Dennis Gonzalez Dallas – London Sextet (daagnimRecords).
Enregistré à Londres en 1987, avec la crème des joueurs de la scène anglaise (Canterbury / Soft Machine), sud-africaine (Elton Dean, Keith Tippett, Louis Moholo, Marcio Mattos) et deux amis de Dallas (le trompettiste Rob Blakeslee et le tromboniste Kim Corbet). Cet enregistrement m’a ouvert les yeux sur la possibilité de travailler internationalement, à un haut niveau de jeu et de musique ! Le climat développé dans ce disque est presque orchestral.

2) «Little Toot» – Dennis Gonzalez / John Purcell 6tet (daagnimRecords).
Enregistré à Dallas en 1985, avec le grand saxophoniste John Purcell, un fidèle de Jack DeJohnette. Ce disque a fait prendre conscience au monde du jazz qu’il y avait en provenance de Dallas une musique de dimension internationale et que son leader, Gonzalez, était prêt à élargir encore et toujours ses conceptions de la composition et de l’improvisation !

3) «Stefan» – Dennis Gonzalez New Dallas Quartet. Parce que c’était mon premier disque (LP et CD) sorti sur le grand label Silkheart en 1987, et parce qu’il swingue férocement, il a touché un plus large public que je n’aurais jamais pu l’imaginer. Ma carrière a pu ensuite se développer beaucoup plus rapidement, une fois ce disque réalisé. Une nouvelle fois, Mr Purcell me fait l’honneur de sa présence sur ce disque…

4) «A Matter of Blood» – Dennis Gonzalez Matter of Blood Quartet (Furthermore Recordings). 2009 – Le grand bassiste Reggie Workman offre à cet enregistrement une base solide, sur laquelle nous avons pu construire le drive et la sensibilité du quartet. J’ai rarement sonné aussi juste, je pense, que sur ce disque là. Beaucoup de personnes ont déjà comparé cette session aux enregistrements originaux du label Blue Note.

JAP >>> « Vous évoquez le grand contrebassiste Reggie Workman. Un autre grand contrebassiste, Henry Grimes, a signé son premier disque depuis 37 ans, en 2004, sur votre label daagnimRecords. Il s’agit du disque Nile River Suite, sur lequel vous jouez de la trompette. Pourriez vous nous raconter l’histoire de votre rencontre avec Henry Grimes? »

DG >>> Tout d’abord, pour être complètement précis, le CD Nile River Suite est entièrement mon projet comme leader, et Henry Grimes est mon invité spécial…et je n’ai pas seulement joué de la trompette sur l’enregistrement. J’ai écrit la musique ; j’ai réuni les musiciens ; j’ai préparé la session ; j’ai pris en charge les coûtes du projet ; j’ai aussi enregistré et fait le mixage de la musique. Naturellement, Henry est un des plus grands musiciens avec qui j’aie jamais eu l’honneur de jouer. Et comme vous l’avez mentionné, c’était son premier disque depuis 37 années, depuis qu’il avait quitté New York et disparu à Los Angeles.

J’avais lu que quelqu’un avait retrouvé Henry, et que ce dernier habitait une pièce minuscule dans un vieux bâtiment et que son travail était de nettoyer ce bâtiment. Il était le concierge ; le gardien. Cet homme qui a joué avec Don Cherry, le grand Sonny Rollins, et tellement d’autres qu’il serait impossible d’en faire la liste …il en était réduit à vivre dans un trou où il survivait à peine. Henry Grimes retrouvé, toutes sortes d’histoires ont commencé à s’écrire au sujet de sa résurrection, de son retour, mais je suis aperçu que personne n’avait enregistré cette nouvelle « incarnation » de Henry Grimes.

Le trompettiste Roy Campbell de New York m’a alors promis qu’il m’aiderait à trouver le moyen de faire jouer Henry dans un de mes disques, parce qu’ils étaient devenu amis et collaborateurs pendant les mois précédents. Il m’a dit que la première chose à faire était de contacter la nouvelle femme (et manager) de Henry Grimes, Margaret Davis. Margaret contrôlait tous les déplacements et les concerts de M. Grimes et elle a vraiment été géniale et très aimable avec moi, en m’aidant à mener à bien cette session. À ce moment-là, M. Grimes faisait face à une sorte de “choc culturel”… Imaginez : il est paumé dans un studio minuscule à Los Angeles pendant des années, et d’un coup il devient une sorte de légende, reconnu dans le monde entier, voyageant à nouveau et retrouvant ses vieux amis, en rencontrant de nouveaux par milliers, et ça en l’espace de deux ou trois semaines ! Il m’a semblé très timide, très renfermé, et il ne m’a dit que peu de mots pendant la journée d’enregistrement, ou lors du concert au Bowery Poetry Club qui se déroulait plus tard dans la soirée. Mais quand il a pris sa basse – un cadeau de William Parker – il a recouvré ses facultés de communication et a alors pu exprimer ses peurs les plus profondes comme son bonheur, ses joies et les épreuves qu’il avait traversées… et il a maîtrisé parfaitement son jeu, et le sens de ma musique.

Cette rencontre fut dans ma vie musicale un moment étrange et beau…

JAP >>> « Vous êtes musicien, compositeur, vous avez créé un label, vous écrivez de la poésie, vous peignez, vous enseignez la musique aussi… On est loin avec vous de l’image de l’artiste seul dans sa tour d’ivoire. Au contraire vous donnez l’impression de vouloir être relié au monde et aux gens de toutes les manières possibles. Croyez vous que les artistes ont un rôle important à jouer dans le monde d’aujourd’hui? »

DG >>> Je pense que l’image de l’artiste dans sa tour d’ivoire, cette image n’est plus valable aujourd’hui, bien que j’en aie connu quelques-uns comme cela dans une autre époque. Une époque où les musiciens et les plasticiens vivaient dans leur monde, mais ce n’est plus vrai aujourd’hui. Les artistes de notre temps, forcément, sont engagés dans le monde, décryptant tous les signaux que ce monde leur envoie – que ce monde nous envoie. C’est notre oeuvre d’être disponible et prêt à recevoir ces signes annonciateurs, ces avertissements sur ce qui est en train d’advenir.

C’est un sentiment qui peut sembler un peu naïf, mais j’aime le monde des personnes humaines et j’aime le monde de l’esprit, et mon art, ma musique et mon écriture se fondent entièrement sur ces deux mondes. Quand j’étais enfant, j’appartenais à deux cultures différentes, j’étais un enfant d’ascendance mexicaine/espagnole dans le monde blanc de l’Amérique… J’ai grandi en parlant deux langues, partagé entre deux modes de vie et ceci m’a aidé à comprendre que le monde se compose lui-même de beaucoup de mondes différents, d’univers différents, tous riches et possibles. C’est grâce à ma sensibilité artistique que j’ai pu entrevoir ces univers, qui sont pour moi autant de cadeaux.

Et j’ai également compris que si je ne réclamais pas ces cadeaux et ne les mettait pas en valeur, je perdrais alors ma vision et ma compréhension de l’univers. C’aurait été une grande perte pour moi.

Le rôle que je crois que l’artiste devrait jouer dans le monde est de voir à distance, de voir hors du temps. C’est notre travail de montrer ce qui est invisible, pour révéler d’autres possibles, plus grands. C’est notre travail d’écouter et de sentir ce qui n’est pas évident et de le transmettre à nos semblables.

Je remplis ce rôle le plus profondément et le plus sérieusement possible.

Wadada Leo Smith – Spiritual Dimensions

d_spiritualdimWadada Leo Smith
Spiritual Dimensions
Cuneiform Records, 2009
Par Pierre Lemarchand

Dans ce disque, Wadada Leo Smith se livre à de longues improvisations / méditations autour d’un motif mélodique (Al-Shadhili’s Litany of the Sea : Sunrise) ou rythmique (Umar at the Dome of the Rock, parts 1 & 2). Longues à propos, car il faut du temps, et de l’espace, pour que la musique de Wadada Leo Smith se déploie, que la trompette du leader ondoie au gré des vents de son inspiration.

Ces vents là viennent des terres de Miles. Ce dernier semble partout présent, plus comme un esprit inspirant que comme une ombre étouffante. Pour preuve la sonorité aigrelette et le jeu avec le silence qui frappent dans le disque 1, et l’instrumentation choisie dans le disque 2.

Car cet album est double, et si l’esthétique y est la même, les formations qui l’incarnent diffèrent selon les deux disques.

Tout d’abord, le Golden Quintet, qui joue sue le disque 1, témoignage d’un concert donné lors du Vision Festival 2008. On y retrouve le même contrebassiste (John Lindberg) et le même pianiste (Vijay Iyer) que dans le Golden Quartet de Smith. A la place de Shannon Jackson, deux batteurs sont ici conviés (Don Moye et Pheeroan AkLaff) comme pour souligner l’importance du rythme, de la pulsation comme moteurs de la machine et véhicules pour ces voyages dans l’espace (les terres africaines de Umar) ou le temps, comme l’atteste la plongée dans l’époque funky qu’est South Central L.A. Kulture.

Ce morceau charnière, qui clôt le premier disque, est repris en introduction du disque 2, emmené cette fois par une formation plus ample (un nonet) et plus électrique aussi. Pheeroan AkLaff, John Lindberg et Wadada restent pour y accueillir de nombreuses cordes (le violoncelle de la précieuse Okyiung Lee, quatre guitares électriques et une basse électrique) qui, superposées, sur-imprimées telles des aplats de peintures concourent à créer la pâte sonore de l’orchestre. La batterie, qui émerge de cette pâte liminaire, annonce clairement la couleur : celle de rythmes binaires, tels que Miles les empruntait au rock dans les années 70, mais envoyés ici avec une fraîcheur et une urgence qui nous éloignent assez vite de toute tentative de comparaison.

Car Wadada joue Wadada, et le sillon qu’il creuse depuis tant d’années trouve en ce double disque une belle introduction pour aller plus avant en même temps que l’aboutissement d’une exigeante démarche.

Wadada Leo Smith : Spiritual Dimensions (Cuneiform Records)

Enregistrement : 2008 et 2009. Edition : 2009.

CD 1: Wadada Leo Smith’s Golden Quintet 01/ Al-Shadhili’s litany of the sea: sunrise 02/ Pacifica 03/ Umar at the dome of the rocks, part 1 & 2 04/Crossing sirat 05/ South central L.A. kulture

CD 2: Wadada Leo Smith’s Organic 01/ South Central L.A. kulture 02/ Angela Davis 03/ Organic 04/ Joy: Spiritual fire: joy

Dennis Gonzalez – A Matter Of Blood

d_matterofbloodDennis Gonzalez
A Matter Of Blood
Furthermore Recordings, 2009
Par Pierre Lemarchand

Nous écouterons encore ce disque dans de nombreuses décennies, car il a tout d’un classique : il est à la fois évident et mystérieux.

On connaît l’attachement du trompettiste texan Dennis Gonzalez pour la Great Black Music, pour un jazz qui revendique son histoire et son identité de musique populaire mais qui refuse de se figer dans une pose folklorique, un jazz qui puise sa modernité dans les risques de l’improvisation et de l’exploration d’ailleurs tant musicaux que géographiques.

Souvent, dans les disques de Dennis Gonzalez, on retrouve de grandes figures tutélaires du jazz d’avant garde. Ces « gardiens du temps » (car outre incarner une certaine Histoire, ils sont souvent batteurs comme Louis Moholo, Andrew Cyrille et Famoudou Don Moye ou contrebassistes, tels Henry Grimes ou Malachi Favors) incarnent certainement cette préoccupation qu’a Dennis Gonzalez de s’inscrire dans le continuum cher à l’Art Ensemble of Chicago : « Ancient to the Future ».

Ici, Reggie Workman, 76 ans, offre la pâte inimitable de sa contrebasse au disque et concourt au surgissement de la sonorité d’ensemble, ample et énigmatique. Il est, sur tous les morceaux, époustouflant de justesse, de tendresse, de gravité.

Curtis Clark, au jeu de piano impressionniste, distille ses notes comme l’on troue le noir et conforte l’installation d’un climat orageux. L’électricité dans l’air, c’est le batteur Michael Thompson, qui semble être comme à son habitude partout à la fois, feu follet disparaissant d’ici pour aussitôt renaître là. Et Dennis Gonzalez bien sûr, qui joue si intensément que chaque note semble suspendue… Le trompettiste est aussi pertinent dans le jeu ostinato (« Arbyrd Lumenal ») que dans les improvisations les plus libres (Anthem for the Moment »).

Enfin, Dennis Gonzalez se pose véritablement comme leader sur cette session, non en occupant le terrain à tout prix mais en donnant une direction et une cohérence esthétiques au disque. Celui-ci s’ouvre par une reprise de « Alzar la Mano » de Remi Alvarez (saxophoniste mexicain que Dennis avait invité à jouer avec lui au Vision Festival de New York en 2006) et se clôt par une improvisation collective, « Chant de la Fée ». Entre les deux, trois longues compositions de Dennis Gonzalez et trois courts interludes composés par chacun des trois autres musiciens de cette session.

Outre l’équilibre réfléchi qui sous-tend cette musique ruisselante de vie, on retrouve là trois éléments cruciaux du jazz : l’inspiration, l’improvisation et la composition.

C’est un disque magistral.
Dennis Gonzalez : A Matter Of Blood (Furthermore Recordings )

Enregistrement : 2008. Edition : 2009.

CD : 1/ Alzar La Mano 2/ Interlude : Untitled 3/ Arbyrd Lumenal 4/ Interlude : Fuzzy’s Adventure 5/ A Matter Of Blood 6/ Anthem For The Moment 7/ Interlude : 30 December 8/ Chant De La Fée

Dennis Gonzalez – trompette, cornet

Curtis Clark – piano

Reggie Workman – contrebasse

Michael T.A. Thompson – batterie

Lucky 7s – Pluto Junkyard

d_plutojunkyardLucky 7s
Pluto Junkyard
Clean Feed, 2009.
Par Pierre Lemarchand

De la rencontre entre des musiciens de Chicago et de la Nouvelle Orléans résulte la musique jouée par le groupe Lucky 7s. Les chicagoans (Josh Berman au cornet, Keefe Jackson au sax ténor, Jeb Bishop au trombone) empruntent les sentiers défrichés par le saxophoniste Ken Vandermark quand les orléanais (Jeff Albert au trombone, Quin Kirchner à la batterie, Matthew Golombisky à la contrebasse) prolongent l’art du batteur Ed Blackwell.

Les mélodies sont ici amplement développées, tout en sinuosité et sophistication et les compositions, empruntes d’une certaine abstraction, se détournent des schémas classiques (thème – improvisation – thème) pour proposer des suites de mouvements distincts, aux ambiances changeantes (Afterwards). Et les changements sont tels que l’on peut vite se retrouver sur les terres du rock indépendant (The Dan Hang).

Mais cette approche contemporaine et toute chicagoane se mêle joyeusement au swing pulsé par la rythmique de nos orléanais, encore ébouriffés par le vent mauvais de Katrina.

La conciliation de ces deux univers semble être incarnée par le vibraphone de Jason Adasiewicz (remarquable comme toujours), dont les notes assurent tantôt l’harmonie et le rythme, tantôt les échappées belles en des terrains plus incertains.

On pourrait dire que la musique des Lucky 7s est cinématographique, dans le sens où elle développe d’amples mouvements, comme l’on cadre de grands espaces, et resserre parfois sa focale pour faire surgir des personnalités en des soli effrénés, perturbant l’apparent calme offert par des musiciens quelques secondes auparavant à l’unisson.

Mais le collectif ici prime finalement sur les individus (ici, la notion de leader est rejetée) et la joie de jouer ensemble déborde du début à la fin de ce disque.
Lucky 7s : Pluto Junkyard (Clean Feed)

Enregistrement : 2007. Edition : 2009.

CD : 1/ #6 2/ Pluto Junkyard 3/ Ash 4/ Cultural Baggage 5/ Future Dog 6/ Jaki’s Walk 7/ Afterwards 8/ The Dan Hang 9/ Sunny’s Bounce

Jeb Bishop – trombone, guitare

Jeff Albert – trombone, trombone basse

Josh Berman – cornet

Keefe Jackson – saxophone ténor

Jason Adasiewicz – vibraphone

Matthew Golombisky – contrebasse, basse électrique

Quin Kirchner – batterie